5 mai 2018 - Pèlerinage diocésain à l’Ile Madame — Diocèse de Tulle

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5 mai 2018 - Pèlerinage diocésain à l’Ile Madame

 

Frères et sœurs, pour quelques heures, nous avons mis nos pas dans la trace des pas du bienheureux Jacques Lombardie et de ses compagnons martyrs, sur cette terre que leur sang a rendu à jamais sacrée. Victimes de la terreur révolutionnaire qui mit notre pays à feu et à sang, victimes de la haine furieuse des ennemis de Dieu et de la foi chrétienne, Jacques Lombardie et ses compagnons martyrs, ont, ici, dans l’extrême détresse de la détention et des mauvais traitements, reçu la grâce divine extraordinaire de ne pas succomber eux-mêmes à la haine envers leurs bourreaux. Ils ont reçu la grâce de la fidélité à la foi de leur baptême, à leur consécration sacerdotale et – don suprême – ils ont reçu la grâce de pardonner à ceux qui les persécutaient et les mettaient à mort. Notre bienheureux martyr et ses compagnons ont écrit par le don de leur vie une des plus belles pages des Actes des martyrs de l’Eglise, à la suite des glorieux martyrs des siècles précédents de l’Eglise qui, sur toute la surface du globe terrestre, ensemencèrent de leur sang la terre pour donner naissance à de nombreux enfants de Dieu, à de nombreux fils et filles de notre sainte mère l’Eglise.

Nous souvenant en cet instant des paroles du voyant du livre de l’Apocalypse et laissant cours à notre imagination tenue en éveil par la foi, il nous semble voir, nous aussi, cette foule immense, une foule de toutes les nations, tribus, peuples et langues qui se tiennent debout devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec les palmes à la main… Et il nous semble entendre la voix de l’un des Anciens dont parle le Livre, qui nous dit : « ceux-là viennent de la grande épreuve : ils sont lavé leurs robes, ils les ont blanchies dans le Sang de l’Agneau » (Apoc 7).

Oui, bienheureux Jacques Lombardie, bienheureux prêtres de Jésus-Christ, vous avez lavés votre robe dans le sang de l’Agneau ! Au moment où l’on vous traitait « en brebis d’abattoir », les paroles du bienheureux Paul ont dû monter de votre cœur jusque sur vos lèvres : « qui pourra nous séparer de l’Amour du Christ ? La détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le supplice ? Mais en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à Celui qui nous a aimés (…) ; rien ne pourra nous séparer de l’Amour de Dieu » (Rm 8, 35-39). Identifiés à Celui que vous serviez par votre sacerdoce, rendus semblables à Lui, crucifiés avec Lui, rendus participants, jusque dans votre chair, de son sacrifice unique, nul doute qu’il vous prêtait sa force pour remettre vos âmes entre les mains du Père ! Vous n’avez pas craint ceux qui tuaient votre corps, parce que vous saviez qu’ils ne pouvaient tuer votre âme !

Dans les résolutions rédigées par les prêtres détenus sur le navire « les Deux-Associés », on trouve, en effet, ces mots : « ils s’efforceront de mettre à profit le temps de leur détention, en méditant sur leurs années passées, en formant de saintes résolutions pour l’avenir, afin de trouver dans la captivité de leur corps, la liberté de leur âme ».

Frères et sœurs, alors que vous êtes venus ici en pèlerinage, comment oublier tous nos frères et sœurs, si nombreux, qui, partout dans le monde, souffrent la persécution à cause de leur foi, victimes de régimes totalitaires, victimes de la nouvelle barbarie d’hommes qui prétendent tuer au nom de Dieu. Tous ces frères persécutés, nous les portons ici dans notre prière. Nous nous souvenons de toutes les victimes d’attentats et de leurs familles durement éprouvées, nous prions pour tous ceux qui n’ont d’autres remèdes que de fuir leur pays et de s’exiler pour échapper à la terreur.

La mémoire des martyrs du passé, comme de ceux du présent, est une invitation à nous interroger sur notre propre foi. Les prêtres qui furent conduits ici en vue de leur déportation en Guyanne, avaient, pour la plupart, refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé, par fidélité à Dieu, à l’Eglise, au pape. Ils avaient refusé la compromission, sachant que leur choix libre pouvait les conduire à la mort. Dieu merci, nous n’avons pas à faire ce choix, mais est-ce à dire que notre témoignage de chrétien soit exempt de toutes difficultés, de tout obstacle, de toute épreuve ? Est-ce à dire que notre foi ne soit soumise à aucune contrainte, à aucune inquiétude, qu’elle ne nécessite aucun effort de la volonté pour s’exprimer et témoigner du Christ ? Si tel était le cas, c’est probablement que nous nous serions déjà, insidieusement, détournés de la Croix du Christ pour lui préférer le confort d’une vie modelée sur l’esprit du monde. Il y a des formes de persécution, comme il y a des manières d’anesthésier la foi, qui ne diront jamais leur nom, mais qui sont bien réelles. Ce sont peut-être les plus dangereuses, parce qu’elles avancent masquées, qu’elles sont indolores et ne suscitent aucune opposition. Notre société n’est pas forcément hostile à la foi, puisque le libéralisme y règne en maître, mais la sécularisation et le laïcisme ne sont-ils pas des ennemis aussi redoutables que la persécution ouverte et violente ? Personne ou presque ne s’attaque à la foi du chrétien, et pourtant celle-ci est menacée par le poison mortel du matérialisme, du consumérisme, de l’individualisme, de l’hédonisme, du relativisme – autant de « milieux » ambiants qui, sournoisement, mettent en péril la foi et la fidélité à l’Eglise. On peut s’habituer à cette situation et finir par ne plus se rendre compte qu’on a épousé l’esprit du monde. L’autre risque, c’est de vouloir à tout prix se protéger des menaces, au point de se constituer une sorte de carapace, de s’isoler dans une forteresse, d’être sur la défensive, de se complaire dans des relations où tout le monde pense la même chose.

Ces deux dangers – celui de la foi qui se dissout lentement dans l’esprit mondain et celui de la foi qui se protège en s’enfermant dans une tour d’ivoire – sont les deux ennemis qui nous menacent aujourd’hui et peuvent rendre impossible notre vocation à être des disciples-missionnaires. Ces deux dangers ont menacé l’Eglise dès ses commencements. Les premiers chrétiens ont dû lutter contre le risque de voir leur foi s’étioler au contact du paganisme de la société gréco-romaine, ou contre le risque de devenir une petite secte condamnée à disparaître, comme toutes les autres. Les deux attitudes s’opposent au véritable témoignage rendu au Christ mort et ressuscité. Les deux tournent le dos à la Croix du Christ. Les deux refusent le combat de la foi. Les deux rendent vaines la mort et la résurrection de Jésus, les deux sont des obstacles à l’action de l’Esprit-Saint.

Frères et sœurs, l’exemple des martyrs – et c’est pour cela que, comme le disait Tertullien, leur sang est semence de chrétiens – nous trace un chemin de vérité. Ils n’ont pas déserté le lieu du combat de la foi qui est toujours la réalité du temps et de l’espace où l’on vit et qu’on n’a pas choisi ; ils ont refusé de laisser leur foi être anesthésiée par les compromissions avec l’esprit de leur temps.

Une belle hymne de la Liturgie des Heures dit tout le sens de la vie et du ministère des pasteurs de l’Eglise martyrs ou non martyrs, des disciples-missionnaires en général ; je vous la livre en terminant :

- « Messagers de la joie pascale, ils ont marché sur les traces du Christ, rien n’a pu les dérouter, parce qu’ils avaient mis leur vie dans les mains du Père » ;

- « Attentifs à la voix des pauvres, ils ont aimé tous les hommes ; nul n’a pas pu les rebuter ; ils voyaient en tout visage la splendeur du Père » ;

- « Aguerris par les longues veilles, ils n’ont pas craint la tempête ; rien n’a pu les ébranler ; ils ancraient leur espérance dans l’Esprit du Père » ;

- Eclaireurs au confins de l’ombre, ils ont guidé ton Eglise ; nul n’approche tes amis sans trouver dans leur constance le chemin du Père ». Amen.

 

+ Francis BESTION, évêque de Tulle

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