11 novembre 2018 - 32ème dimanche du temps ordinaire — Diocèse de Tulle

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11 novembre 2018 - 32ème dimanche du temps ordinaire

Collégiale de Brive

Frères et soeurs, l’évangile nous invite aujourd’hui à nous arrêter sur le regard de Jésus qui se porte sur une pauvre veuve en train de déposer sa modeste offrande dans le tronc du Temple. Personne ne fait attention à elle, mais Jésus, lui, la voit et il est dans l’admiration devant son geste d’offrande, parce qu’elle a donné tout ce qu’elle avait, alors que d’autres bien plus riches n’ont donné que de leur superflu. Dans ce regard de Jésus, c’est le regard même de Dieu que nous contemplons. Et, comme le dit une parole de la Sainte Ecriture, « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes se fient à l’apparence, mais le Seigneur regarde le coeur ». Voilà une invitation pour nous à nous exercer à regarder avec le regard de Jésus, un regard vrai, juste, compatissant et miséricordieux, un regard d’amour. Combien de nos jugements hâtifs changeraient si nous nous efforcions de regarder comme Jésus ! C’est bien sûr un apprentissage qui n’est jamais fini. Et c’est dans la prière, la méditation de la Parole de Dieu, que nous pouvons faire cet apprentissage. Comme le disait saint Pierre d’Alcantara : « combien mes idées changent lorsque je mets à prier ».

 

Frères et soeurs, il y a 100 ans, jour pour jour, cessait le bruit des armes sur le sol de notre pays. L’armistice était signé après quatre années d’une guerre atroce impliquant les plus grandes puissances de l’Europe et du monde. Des millions et des millions d’hommes ont versé leur sang. Les Monuments aux morts de toutes les communes de France témoignent de l’horreur de cette guerre qui décima les populations en saignant la jeune génération, à tel point qu’on a pu dire de cette guerre qu’elle avait signé le commencement du déclin de l’Europe.

On peut dire que jamais la paix ne fut si chèrement payée. D’autant plus que les foules en liesse qui descendirent dans les rues des villes pour fêter la victoire ne se doutaient pas que cette paix nourrissait déjà en son sein blessé une autre guerre encore plus redoutable.

Ceux et celles qui, le 11 novembre 1918, fêtaient l’armistice se réjouissaient sans doute de la victoire, mais, bien plus encore, infiniment plus, ils se réjouissaient de la paix – cette paix qu’on avait fini d’espérer tant la guerre s’était prolongée au point de paraître interminable. Comment ne pas évoquer les initiatives du Pape de cette époque, Benoît XV, qui, du commencement de la guerre à sa fin, n’eut de cesse, par la voie diplomatique ou par des appels officiels, de rechercher la paix entre les peuples. Mais, hélas, il ne fut écouté de personne parce que, dans chaque camp, il apparaissait, pour les catholiques, comme une sorte de traitre, tellement chaque pays belligérant se considérait dans son droit et que toute forme de paix était vue comme une capitulation. Ce pape n’en demeure pas moins aux yeux de l’histoire celui qui, presque seul contre tous, avait compris que le nouvel état du monde nécessitait un nouvel ordre international basé sur le droit et la justice en vue d’une paix durable.

Aujourd’hui, nous commémorons l’armistice et nous faisons ainsi mémoire de tous ces soldats qui, dans la force de l’âge, donnèrent leur vie pour la patrie ; parmi eux, il y avait de tout jeunes pères de famille, des fiancés, il y avait aussi de nombreux séminaristes, de nombreux prêtres et des religieux. En pensant à eux, comment oublier qu’aujourd’hui encore, il y a des pays et des régions du monde qui, depuis des décennies et des décennies, n’ont pratiquement jamais connu la paix ? Celle qui devait être la « der des der », comme on disait, ne le fut pas ! Quand pourra-t-on dire d’une guerre qu’elle est la « der des der » ? En Europe, nous vivons en paix depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La plupart d’entre nous, pour ne pas dire tous – à l’exception des militaires et des anciens combattants de la guerre d’Algérie – nous n’avons connu que la paix. C’est quelque chose – en avons-nous conscience ? – de tout à fait extraordinaire et unique dans l’histoire de notre vieille Europe. Mais du coup, beaucoup de gens ne s’imaginent pas ce que peut être l’horreur de la guerre et nous fermons les yeux sur ce qui se passe à des milliers de kilomètres de chez nous... Nous oublions même de nous réjouir de la paix qui règne en Europe.

La réconciliation entre la France et l’Allemagne, quelques années après la Seconde guerre mondiale – réconciliation qui inaugura la construction de l’Union européenne – fut comme une sorte de miracle. Et faut-il rappeler que cette réconciliation fut essentiellement l’oeuvre d’hommes politiques chrétiens ?

Aujourd’hui, qu’en est-il ? Ceux qui bâtirent la paix sont morts et qui se souvient encore de leur nom ? Qui a connu le prix de la guerre ? Il est à craindre que les commémorations ne suffisent plus à maintenir vivace la mémoire des tragédies du passé, la mémoire des horreurs de la guerre et des idéologies qui firent du XXème siècle le plus sanglant de tous les siècles de l’histoire de l’humanité, au coeur d’une Europe qui se glorifiait pourtant d’être le berceau des Lumières. Que reste-t-il aujourd’hui de l’esprit qui animait puissamment les fondateurs de l’Europe, les Schumann, Adenauer, Monet, de Gasperi ? Ils étaient unis par une idée dominante, celle de la démocratie chrétienne, qui invitait au dépassement du fait national avec l’objectif d’éliminer les conflits engendrés par les nationalismes.

Les temps ont changé. Le monde, après l’opposition de deux grands blocs dans ce qu’on a appelé « la guerre froide » est aujourd’hui marqué par la mondialisation et le multi-latéralisme. A l’Assemblée des Evêques à Lourdes, dont je reviens, nous avons reçu M. Enrico Letta, ancien président du Conseil de la République italienne et actuel Président de l’Institut Jacques Delors ; et il nous faisait la remarque suivante : en 1960, la population mondiale était de 3 milliards d’habitants et donc l’Europe représentait 1/5ème du monde ; en 2050, la population mondiale devrait atteindre 10 milliards d’habitants, et alors l’Europe représentera le 1/20ème du monde ! C’est dire que s’en est fini de l’Européocentrisme. Face à la montée des nouvelles puissances comme la Chine, comme l’Inde, l’Europe ne pèsera pas lourd et elle pèsera encore moins lourd si elle n’est pas unie.

La Communauté européenne, nous le savons, traverse une période difficile de son histoire. La sortie du Royaume-Uni, les replis identitaires et nationalistes, les effets négatifs de réglementations incomprises, l’éloignement institutionnel, le problème des migrations – autant d’éléments qui mettent l’Europe devant des choix difficiles à préciser. Les prochaines élections, hélas, courent le risque de se voir rabaissées au niveau des ambitions personnelles ou des stratégies politiciennes, au lieu de la poursuite d’un projet européen ambitieux, généreux et confiant. Le repli sur soi ne saurait répondre à la réalité préoccupante, à bien des égards, de la politique mondiale. La pape François, à plusieurs reprises, a parlé d’une « troisième guerre mondiale par morceaux » comme caractéristique de l’état actuel du monde.

Comme citoyens français, citoyens de l’Europe, comme chrétiens, notre responsabilité est grande. Sans vigilance et volonté réelles, notre vieux continent n’est pas à l’abri de graves conflits. La question la plus importante aujourd’hui, à l’échelle de notre pays, à l’échelle de l’Europe et à celle du monde, est celle de la recherche du Bien commun universel. Soit cette recherche parvient à prendre le pas sur celle des intérêts catégoriels égoïstes ou nationaux, soit elle n’y parvient pas et les générations futures courront de grands dangers. Malheur à ceux qui favoriseront le réveil des vieux démons qui déclenchèrent les deux guerres mondiales !

Frères et soeurs, la commémoration de ce jour doit nous rappeler que la paix n’est jamais acquise, mais toujours à construire et à entretenir ; elle doit nous rappeler que la paix est le bien le plus précieux des peuples et des nations. Il nous appartient donc avant tout de prier sans cesse pour la paix, d’élever des ponts de paix, de refuser les germes de discordes au niveau international, européen et national ; et, d’abord, très concrètement, au quotidien, dans nos familles, nos villages, nos cités. Etre artisans de paix, c’est un travail, un labeur que le Prince de la Paix, Jésus, nous a confiés : « heureux les artisans de paix » !

Comme chrétiens, comme disciples du Prince de la Paix, nous portons une lourde responsabilité d’être des artisans de paix, en cherchant le plus possible à vivre entre nous et avec tous les hommes la fraternité. C’est en effet un autre nom de la paix ou plutôt sa source, son aliment, sa garantie. Que Marie, mère de Jésus, Reine de la Paix, nous aide à comprendre et à vivre cette fraternité qui surgit du coeur de son Fils, et à porter au monde la paix ! Amen.

 

+ Francis BESTION

Evêque de Tulle

 

 

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