24 décembre 2018 - Messe de la Nuit de Noël — Diocèse de Tulle

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24 décembre 2018 - Messe de la Nuit de Noël

Cathédrale de Tulle

 

         Frères et sœurs, ce que nous célébrons en cette nuit n’est pas quelque chose de normal, d’ordinaire, et encore moins de banal. Ce que nous célébrons est vraiment extraordinaire, hors du commun, et pour ainsi dire inouï !

         Mais, comme ce n’est pas la première fois que nous le célébrons, comme Noël revient chaque année, et que la plupart d’entre nous, avons déjà fêté de nombreux noëls, le risque est de ne plus nous étonner, de trouver cela normal, ordinaire ; le risque est de perdre notre capacité d’émerveillement. Parce que nous sommes devenus des « habitués », comment découvrir encore de la nouveauté, de l’inédit, de l’exceptionnel dans ce que nous célébrons ?

         Frères et sœurs, ce qui est arrivé, un jour du temps, il y a plus de 2000 ans – la naissance de Jésus, dans une petite bourgade de la Palestine, ou plus exactement en pleine campagne, dans une cabane de bergers, et qui avait toutes les apparences de la banalité, du dérisoire, du non-événement – voilà pourtant ce qui a changé totalement le cours de l’Histoire, le cours du temps et la vie de millions et de millions de personnes au long des siècles jusqu'à nous, aujourd’hui, nous qui sommes des maillons de cette longue histoire de l’humanité. Pourquoi ? Parce que non seulement l’improbable, mais l’impossible, l’inimaginable devenait possible et même réel : Dieu éternel, Dieu au-delà de tout, Dieu inconnaissable, Dieu absolument transcendant, venait prendre la condition des hommes, venait établir sa demeure chez les hommes, prenait chair de notre chair. Le Verbe éternel de Dieu, par qui tout a été créé, par nature invisible, devenait visible, devenait homme parmi les hommes. Voilà le mystère que nous célébrons cette nuit !

         Et, paradoxalement, ce mystère de l’Incarnation de Dieu, de la naissance du Sauveur, s’est produit dans la plus grande simplicité, la plus grande pauvreté, le dénuement : un bébé sur la paille dans une étable obscure, avec pour seuls témoins, Marie, Joseph et quelques bergers gardant leur troupeau dans les champs. Le plus grand événement de l’histoire, dans le plus grand anonymat, la plus grande discrétion. Alors que l’Auguste César régnait sur le monde et prétendait même recenser tous ses sujets, voici qu’une personne de la Sainte Trinité, le Fils de Dieu, faisait son entrée dans le monde dans l’abaissement le plus total, choisissant pour trône la mangeoire des animaux.

         Voilà, frères et sœurs, de quoi la liturgie – c’est là son secret – nous rend contemporains, aujourd’hui, cette nuit même, en l’an de grâce 2018. Nous voilà, comme Marie et Joseph, comme les bergers, à la crèche, rendus témoins de l’événement le plus extraordinaire de l’histoire.

         Alors que depuis déjà plusieurs semaines, les rues des villes s’illuminent de mille feux, que les guirlandes des sapins scintillent, que des hommes barbus, vêtus de rouge, s’agitent un peu partout, le plus souvent à des fins commerciales, dans les temples de la consommation, alors que les radios et les télévisions nous parlent de la « magie de Noël », sans même savoir ce que cela signifie, les chrétiens, eux, sont renvoyés au même signe, à peine perceptible, celui d’un nouveau-né, emmailloté et couché dans une mangeoire, devant lequel ils se prosternent en signe d’adoration. Pas de magie pour nous devant ce signe, pas d’illusion, parce que Dieu n’est pas un magicien, Dieu n’est pas un illusionniste ! Le drame c’est que nos contemporains préfèrent la magie au réel, l’illusion à la vérité, et voilà pourquoi notre monde devient triste. La chair du Fils de Dieu n’est pas de la magie, pas plus que le sang et l’eau qui coulent du côté du Christ sur la croix ! C’est même le plus grand réalisme ! Et, paradoxalement, c’est aussi une pierre d’achoppement ; car Dieu choisit de se révéler aux hommes en cachant sa divinité dans la chair de l’humanité. Dans le mystère de l’Incarnation, comme dans celui de sa mort et de sa résurrection, la divinité du Christ se cache sous le voile de la chair. Et il en va de même dans la liturgie qui actualise ces mystères du salut. Dans l’eucharistie, le Christ se rend réellement présent corporellement, sous le mode sacramentel, sous le voile des saintes espèces. La encore, aucune magie, aucune illusion, mais la réalité d’une présence cachée.

         Seul Dieu pouvait trouver cette voie inouïe de la crèche et de la croix pour assumer toute notre humanité dans un mystère d’amour et d’Alliance parfait, y compris dans les réalités les plus absurdes de la condition humaine, celles du mal et de la mort. Dans le Christ, Dieu s’est enfoncé charnellement jusque dans ces réalités qui heurtent notre raison humaine. Il n’a pas fait semblant, il nous a aimés jusque dans ce qu’il y a de plus obscur et de plus dramatique de notre condition de créature : le péché, le mal et la mort. Il ne faut pas chercher Dieu dans je ne sais quel arrière-monde, mais au cœur même de notre existence. Si Dieu ne s’était pas fait aussi proche, on pourrait douter de sa victoire sur le mal. Mais parce qu’il a pris notre chair, tout peut être sauvé de la condition humaine, y compris ce qui est marqué par le mal, le péché et la mort.

         Voilà pourquoi, frères et sœurs, en cette nuit, nous pouvons entrer dans le grand mystère de la joie chrétienne, malgré toutes nos limites, nos faiblesses, nos péchés, malgré le mal qui étend encore ses tentacules sur le monde et sur nos vies. C’est là le paradoxe de la joie chrétienne. Si nous laissons, en cette nuit, la lumière de Dieu entrer dans les ténèbres du monde, les ténèbres de nos vies, si nous laissons son amour entrer dans nos vies, il peut les illuminer et transformer même ce qu’il y a de plus sombre ; voilà la source de notre joie !

         Frères et sœurs, à quoi sommes-nous le plus appelés en cette nuit de Noël ? Ne nous laissons pas happer par ce que le monde appelle « la magie de Noël », mais laissons-nous visiter par le mystère de l’amour divin qui se fait si proche de nous, dans la réalité de l’Enfant de la crèche. Sans faire abstraction des souffrances dans le monde, peut-être aussi des nôtres, nous pouvons goûter au secret de la joie, en contemplant cette présence cachée du Christ, sa divinité cachée dans notre humanité, sa lumière qui ne s’impose pas, même si elle est un feu capable de transformer nos vies et de leur faire porter du fruit – les fruits que la grâce de Dieu porte pour nous. Noël, n’est-ce pas laisser l’humilité de Dieu entrer dans nos âmes, dans nos cœurs, pour qu’ils deviennent des crèches disposées à accueillir ce visiteur invisible, mais toujours présent ? C’est bien la joie que nous pouvons nous souhaiter les uns aux autres en cette nuit très sainte. Amen.

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