L'homme numérique ! — Diocèse de Tulle

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Outils personnels

L'homme numérique !

Edito de février 2022

Après « l’homme neuronal » (titre d’un ouvrage de M. Jean-Pierre Changeux, en 1983), on parle aujourd’hui, à l’ère du numérique, d’homo numericus ou d’homo digitalis. Ces diverses appellations ont toutes le même défaut, celui de définir l’homme à partir d’une composante organique de son être ou d’une technologie qui imprègne sa vie. Ce n’est pas nouveau3 : dans les catégories d’hommes de la préhistoire, on trouve l’homo habilis qui se caractérise par l’utilisation d’outils rudimentaires. Définir l’homme à partir de sa capacité à utiliser un morceau de bois ou une pierre pour en faire un outil ou de sa capacité à fabriquer et utiliser un smartphone, ne relève-t-il pas d’une même méthode, celle du réductionnisme, et d’une même vision idéologique, celle du matérialisme ?

Une question se pose : de l’invention d’outils rudimentaires à celle d’outils numériques et de l’intelligence artificielle, sur des milliers et des milliers d’années, y a-t-il seulement une évolution linéaire qualitative, celle du progrès des sciences et des techniques, laissant l’homme inchangé en lui-même, ou bien ces évolutions transforment-elles l’homme et sa capacité à se penser lui-même, à envisager son existence et sa destinée, à organiser sa vie personnelle et ses relations avec l’environnement, avec autrui, et avec Dieu ? Autrement dit, s’agit-il seulement de mutations techniques ou aussi de mutations anthropologiques  ? On serait bien naïf de penser que les évolutions des sciences et des techniques n’interagissent pas avec la manière dont l’homme se comprend et saisit le monde qui l’entoure, avec ses actions et ses manières de vivre.

Qu’est-ce que l’Homme3 ? C’est la question du sage dans la Bible. La révélation biblique nous parle de Dieu et de l’Homme. Et, en Jésus, se révèle pleinement qui est Dieu et qui est l’Homme. En s’interrogeant sur lui-même – qui suis-je3? – l’homme découvre une capacité qui lui est propre parmi tous les êtres vivants de la terre, celle de l’intériorité, ce 4 lieu 5 en nous-mêmes qui ne se déduit pas du monde, qui ne résulte pas des lois de la physique, de la biologie, de la sociologie, mais qui est la vérité la plus profonde de l’être humain, sa singularité, et donc aussi ce qui fait sa dignité. C’est là que Dieu, « plus intérieur à nous-mêmes que nous mêmes » (Saint Augustin, Les Confessions), se révèle à nous.

Or, l’avènement du règne numérique met à mal notre capacité d’intériorité, au point d’entraîner une transformation anthropologique sans aucune mesure avec celles qu’a connues l’histoire humaine civilisée.Comme la neuro-biologie peut nous laisser croire que la pensée n’est l’oeuvre que d’interconnexions neuronales et de processus chimiques du cerveau, la technique numérique peut induire que la pensée se réduit à un traitement d’informations et non plus un « jaillissement personnel » lié à la liberté d’appréhender l’homme et le monde. Tout se passe comme si nos capacités cognitives et sensorielles se réduisaient à n’être que des interfaces. Le grand danger est que la pensée rationnelle ne soit plus reliée à l’esprit, à l’âme (autre manière de qualifier l’intériorité).

La Révélation biblique nous apprend que l’intériorité, l’âme, est nourrie par la présence de Dieu en nous. Si cette intériorité s’efface à cause d’une existence hors de nous-même, sous l’emprise de la connexion numérique, l’ego (et donc le narcissisme) en prend la place ; on vit dans l’immédiateté, la virtualité, au détriment de la vie familiale, du temps long des relations, du lien avec les institutions, de l’engagement social.

Que devons-nous faire pour préserver l’intériorité ? Ne pas déléguer à des 4 machines 5 le pouvoir de penser à notre place. Face aux nombreuses situations angoissantes de notre temps, la véritable réponse n’est pas dans l’évasion numérique, mais dans la résistance spirituelle. Dieu seul est garant de notre intériorité, de notre âme, de son image inscrite au plus profond de notre coeur. Prendre soin de notre intériorité, par la prière, l’écoute quotidienne de la Parole de Dieu, la méditation, la lecture, une saine solitude, est le meilleur moyen de lutter contre l’invasion du monde numérique dans nos existences. L’Église a un rôle pédagogique à jouer, en faisant en sorte que nos Communautés cultivent la rencontre, la convivialité, le soin des pauvres, la louange et l’adoration eucharistique.

+ Francis BESTION,
Votre évêque

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