La Communauté missionnaire — Diocèse de Tulle

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La Communauté missionnaire

Edito de l'Eglise en Corrèze - Octobre 2018

      

Dans son numéro du 7 septembre dernier, l’hebdomadaire « France Catholique » consacre son Dossier à Jean Le Cour Grandmaison, qui fut directeur de cet hebdomadaire, entre 1945 et 1957. Ce chrétien atypique fut d’abord officier de marine, journaliste, homme politique, engagé dans l’Action catholique dont il présida la Fédération nationale.

            Dans le Dossier en question, on trouve un extrait du discours que Jean La Cour prononça à Lourdes, en mars 1958, portant sur la paroisse. Il part d’un constat : l’organisation paroissiale traditionnelle, telle qu’elle existe en France depuis des siècles, n’a pas réussi à enrayer le processus général de déchristianisation. Il se demande si la paroisse « est capable d’atteindre les masses, chaque jour plus nombreuses, que le laïcisme ambiant et les conditions de vie du prolétariat moderne ont rendues étrangères à l’idée même de christianisme ». Reprenant la réflexion des abbés Godin et Daniel, trois ans auparavant, il se pose la question : « ne faut-il pas rechercher aujourd’hui des formules nouvelles d’apostolat, inspirées de celles qui réussissent dans les pays païens ? La France n’est-elle pas devenue, elle aussi, un pays de mission ? ». Faisant référence aux études du chanoine Boulard pour la France rurale et de l’abbé Michonneau pour la ceinture de Paris, il partage leur conclusion : « la paroisse conserve un rôle plus important que jamais », non seulement pour « la conservation » de la foi, mais aussi pour l’évangélisation ; « elle doit devenir la communauté missionnaire par excellence ». A partir de là, se pose, dit-il, une nouvelle question : « comment la paroisse devient-elle missionnaire ? Quelle est la marche à suivre pour transformer en paroisse missionnaire une paroisse ordinaire de type actuel ? ».

            En lisant ces propos, écrits il y a 60 ans, je me suis fais la réflexion suivante : que dirait aujourd’hui Jean Le Cour ? Mis à part le fait que l’Action catholique a subi elle-même l’érosion de la sécularisation et de la laïcisation des sociétés modernes, son diagnostic concernant la paroisse serait exactement le même ; avec la différence que les paroisses se sont regroupées en étendant toujours plus leur territoire pour pouvoir survivre, en raison de la diminution du nombre de fidèles et, corrélativement, la baisse des vocations sacerdotales. Autrement dit : n’en sommes-nous pas au même point ? Les restructurations paroissiales dans beaucoup de diocèses ont-elles fondamentalement changé la situation ? Il faut bien reconnaître que ce n’est pas le cas. La « structure » paroissiale a survécu, mais le problème de la mission demeure et est encore plus aigu. Il s’est tout de même déplacé : on ne cherche plus à « rechristianiser » la société.

            En fait, je crois fondamentalement que les prémices du raisonnement précédent résultaient d’une vision de l’Eglise marquée par la problématique du XIXème siècle et du début du XXème, où l’on croyait acquise et définitive l’évangélisation d’un territoire et où la notion de « mission » ne pouvait concerner que des territoires encore « païens ». Cette vision va à l’encontre de ce qu’est la foi : un don de Dieu et une réponse personnelle de l’homme engageant sa liberté. La foi peut certes se « transmettre » d’une personne à une autre, d’une génération à une autre, mais ce n’est jamais à la manière d’un code génétique… et donc jamais acquis une fois pour toute. Voilà pourquoi la condition de l’Eglise en ce monde, dans une société donnée, un territoire donné, sera toujours celle d’une communauté missionnaire, une communauté de disciples-missionnaires. Il n’y a pas vraiment des territoires « chrétiens » et des territoires de mission ; il n’y a toujours que des personnes à qui on veut annoncer l’Evangile du Salut en Jésus-Christ parce qu’on est certain que c’est le plus beau cadeau qu’on peut leur faire. Et comme la foi n’est pas une ‘affaire’ privée, c’est toute la communauté qui est concernée par la mission. Il ne suffit pas qu’une « paroisse » ou « communauté locale » existe de jure pour qu’elle le soit vraiment ; elle ne peut l’être de facto que si elle est missionnaire. Corrélativement, cela signifie que l’Eglise elle-même doit toujours être en état de réforme, semper reformanda, comme il en va aussi de notre vie personnelle. Malheureux celui qui pense que ce sont les autres qui doivent se convertir…

 

+ Francis Bestion

Evêque de Tulle

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