17 octobre 2020 - Cinquantenaire de la mort de Michelet — Diocèse de Tulle

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17 octobre 2020 - Cinquantenaire de la mort de Michelet

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Chers amis, nous entendons cette parole de Jésus, alors que, dans cette eucharistie du 29ème dimanche du temps ordinaire, nous nous souvenons du Serviteur de Dieu, Edmond Michelet, qui, il y a 50 ans, le 9 octobre 1970, achevait son pèlerinage de la foi ici-bas.

Edmond Michelet n’était pas César, et aucune pièce de monnaie n’a été frappée à son effigie, mais il fut un homme d’Etat, parlementaire et plusieurs fois ministre de la République, une République laïque où prévaut le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat – principe que l’Eglise, non seulement reconnaît mais approuve, indépendamment de tout jugement de valeur porté sur les conditions historiques qui furent celles de sa mise en œuvre au début du XXème siècle, laquelle ne fut pas sans douleur pour les catholiques.

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Comment un homme d’Etat, chrétien convaincu, pouvait-il vivre cette sorte de ‘double appartenance’, de ‘double fidélité’ au service de Dieu et au service de l’Etat ? La question ne se pose pas seulement pour un homme d’Etat mais pour tout baptisé qui est aussi citoyen d’un pays, qui doit obéir aux commandements de Dieu et observer les lois de son pays, en l’occurrence les lois d’une république laïque qui ne sont pas toujours conformes à l’idéal évangélique ? Et, ce n’est pas une question théorique. Y a-t-il pour un baptisé une loi supérieure aux lois des Etats, qui oblige sa conscience ? Oui, bien sûr, c’est la loi divine de l’amour. Celle qui, par exemple, nous commande : « tu ne tueras pas ». On peut se rappeler les paroles de saint Thomas Moore : « la conscience n’est pas l’expression d’une révolte contre l’ordre établi, mais l’obéissance sereine à des prescriptions plus hautes ».

Comme baptisé, comme citoyen, et ensuite comme homme d’Etat, Edmond Michelet fut confronté à cette question. Il le fut, lorsqu’en 1940, il fit le choix libre et déterminé d’appeler à la Résistance en refusant de se soumettre à l’ordre du maréchal Pétain, nouveau président du Conseil, de cesser le combat. Il le fut, plus encore, lorsqu’il organisa la Résistance face à l’ennemi et s’y impliqua activement, au péril de sa vie. Comme homme d’Etat, en particulier comme ministre de la justice, bien des situations difficiles, principalement celle de l’Algérie, posèrent à sa conscience des interrogations redoutables et l’obligèrent à faire des choix crucifiants. Certains le lui ont reproché et le lui reprochent encore.

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Est-ce à dire que les fidèles laïcs du Christ devraient déserter le champ politique et, à plus forte raison, s’interdire d’assumer des responsabilités électorales et des charges au service de la collectivité, de l’Etat, sur le plan local ou national ? La doctrine sociale de l’Eglise encourage les laïcs à s’investir au service de la Cité, de la nation, dans la gestion des affaires publiques, y compris en assumant des charges politiques. C’est ce qu’a fait le serviteur de Dieu Edmond Michelet.

Rendre à Dieu ce qui est à Dieu ne signifie pas que le baptisé devrait s’enfermer dans une sorte de bulle religieuse protectrice en se désintéressant de tout ce qui concerne la vie publique, la vie politique, économique, sociale et culturelle. Il ne manque pas de gens aujourd’hui qui voudrait cantonner la vie religieuse et son expression à la sphère privée, et contraindre ainsi les chrétiens à vivre leur foi dans la seule limite de la pratique du culte.

Rendre à Dieu ce qui est à Dieu consiste, bien plutôt, à vivre notre vie de citoyen et de chrétien, y compris dans sa dimension politique, dans la fidélité à celui dont nous sommes l’image et la ressemblance, dans la fidélité au Christ et à son Evangile, pour construire un monde qui corresponde au dessein créateur de Dieu pour l’humanité.

En cela, la vie du Serviteur de Dieu Edmond Michelet a valeur d’exemple. Sans jamais confondre vie chrétienne et engagement politique, il n’y a jamais eu pour lui deux sphères étanches et sans rapport, l’une religieuse et l’autre politique. Comme chrétien convaincu, il s’est engagé dans les réalités humaines, sociales et politiques, sans opposer Dieu et César. Il s’est engagé avec une immense générosité dans les réalités humaines, mais en cherchant à les éclairer avec la lumière de Dieu, à les vivre dans ce que le pape François appelle, dans sa dernière encyclique, « la charité politique ». Celle-ci comporte diverses facettes, dont celle de l’ouverture à tous les hommes. Et c’est cette facette, me semble-t-il, qui a le plus scintillé chez lui, alors qu’il se faisait proche de personnes qui étaient à l’opposé de ses convictions politiques et de sa religion. Chez lui, la caritas, qui animait sa vie dans les choses quotidiennes, ses relations familiales et amicales, prenait aussi le visage de la fraternité universelle. Et ce fut une constante qu’on repère à tous les moments importants de sa vie :

- à Brive, au début de la guerre, où il accueille des personnes exilées, des espagnols, des allemands fuyant le régime nazi, parmi eux des juifs, et aussi des français du nord et des belges fuyant l’envahisseur ;

- à Dachau, où il se fait le prochain de tous et finit même par contracter le typhus ;

- au lendemain de la guerre, où il œuvre pour la réconciliation avec les allemands ;

- au moment de la guerre d’Algérie où, selon ses propres mots, il n’accepte pas qu’il y ait deux justices, une pour les français, une pour les algériens.

C’est peut-être parce qu’il donnait ce témoignage de ce que le pape François appelle « la charité politique » et qu’il ne cachait pas ses convictions chrétiennes, qu’André Malraux a dit qu’il était « l’aumônier de la France ». Mais je préfère l’expression de l’historien Joseph Rovan : « l’homme d’Etat franciscain ».

Où le Serviteur de Dieu puisait-il cette fraternité à toute épreuve, cette caritas – ce mot qui revenait souvent dans sa bouche ? Il la puisait à sa Source, qui est la charité divine, laquelle est allée jusqu’au sacrifice de la croix où le Fils de Dieu a donné sa vie pour le salut du monde. Il la puisait dans le sacrement de la charité qu’est l’eucharistie, actualisation permanente du mystère pascal du Christ, à laquelle il participait, le dimanche bien sûr, mais aussi en semaine, autant qu’il le pouvait. Chaque année, il aimait se rappeler sa première communion, le 4 juin 1911, à Vaujours. Vers la fin de sa vie surtout, sa proximité spirituelle avec Charles de Foucauld, qui voulait être le frère universel et qui faisait de l’adoration eucharistique le cœur de sa journée, n’est pas étonnante. Plus près de nous, le bienheureux Carlo Acutis, béatifié le 10 octobre dernier, est un autre exemple de cet amour de l’eucharistie se déployant en charité fraternelle.

Inséparable de l’eucharistie, c’est la prière personnelle et en famille qui a été le ressort de sa vie chrétienne et de son engagement politique. En 1956, ne déclarait-il pas, lors d’un congrès : « l’homme politique chrétien sera un homme de prière ». Dans sa vie de prière constante, le rosaire a tenu une grande place et donc aussi la dévotion mariale. Nous savons combien il affectionnait tout particulièrement le sanctuaire marial de Rocamadour, et aussi celui de Lourdes et de Fatima. Jusqu’à sa dernière heure, il a eu le chapelet entre ses mains.

Chers amis, puisse la célébration du cinquantenaire de la mort d’Edmond Michelet, de sa pâque en Christ (qui n’est pas une disparition), susciter en nos propres âmes ce grand souffle qui anima sa vie parce que, comme l’a dit le Père Riquet, lors de ses obsèques, « il avait pris l’Evangile au sérieux ». Soutenus nous-mêmes, dans notre pèlerinage de la foi sur cette terre, par la nourriture de l’eucharistie, par la prière comme cœur à cœur avec Dieu et par l’intercession de Notre-Dame de la Paix, puissions-nous vivre pleinement l’Evangile du Salut, dans la charité fraternelle, la réconciliation et la paix.

En ces temps difficiles que nous vivons, où la violence et la haine semblent se déchaîner, que la prière du serviteur de Dieu, Edmond Michelet, nous obtienne, selon l’expression qu’il utilisait, d’être de ceux et celles qui « désarment la haine ». Amen.

 

+ Mgr Francis Bestion

Évêque de Tulle

 

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