28 décembre 2020 - Fête des Saints Innocents — Diocèse de Tulle

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

28 décembre 2020 - Fête des Saints Innocents

Abbaye de Solesmes

 Lorsque j’enseignais la liturgie au Séminaire, j’évoquais souvent une grande figure qui vous est chère, celle de Dom Guéranger, refondateur de votre Abbaye et restaurateur de l’ordre bénédictin en France, et, à travers son œuvre majeure, l’Année liturgique, précurseur de ce qu’on a appelé « le mouvement liturgique ».

         Aujourd’hui, il me plaît de citer un passage de son commentaire à propos de cette fête des Saints Innocents : « Le berceau de l’Emmanuel, auprès duquel nous avons vénéré le Prince des Martyrs et l’Aigle de Patmos, nous apparaît environné d’une troupe gracieuse de petits enfants, vêtus de robes blanches comme la neige, et tenant en main des palmes verdoyantes. Le divin Enfant leur sourit ; il est leur Roi, et toute cette petite cour sourit aussi à l’Eglise de Dieu. La force et la fidélité nous ont introduits auprès du Rédempteur ; l’innocence aujourd’hui nous convie à rester près de la crèche ».

         Ce commentaire de votre Père résume à merveille l’atmosphère liturgique de cette fête et nous invite à contempler le mystère du Verbe incarné dans toute son ampleur, c’est-à-dire indissociablement du mystère pascal, qui est le cœur de l’année liturgique et de toute  liturgie.

         C’est qu’en effet, la fête d’aujourd’hui, a un double aspect, comme l’ont noté bien des commentateurs, depuis saint Jérôme, en passant par Saint Bernard, par Dom Guéranger, jusqu’à d’autres plus récents.  D’un côté, elle représente le point, en quelque sorte, culminant des fêtes adjointes. Le premier jour, après Noël, nous allons au-devant du Roi dans la personne d’un martyr, du proto-martyr Etienne ; le deuxième jour, en la personne de l’Apôtre vierge, saint Jean ; le troisième jour, en la personne de ces enfants qui sont à la fois vierges et martyrs. Et, d’un autre côté, la pensée de Noël et de la Rédemption se continue. A Noël, la croix est déjà venue se planter près de la crèche. Comme l’écrivait Edith Stein dans sa méditation si profonde, La crèche et la croix, « les mystères du christianisme forment un tout indivisible. Si l’on se plonge dans l’un, on est conduit à tous les autres. C’est ainsi que le chemin qui commence à Bethléem mène immanquablement au Golgotha, de la crèche à la croix ».

         Aujourd’hui encore, comme chaque année, et il en sera ainsi jusqu’à la fin des temps, l’étoile de Bethléem brille dans une nuit profonde. Et voilà pourquoi, au lendemain de Noël, l’Eglise dépose ses vêtements blancs pour revêtir la pourpre du sang, et de même au 4ème jour de l’octave. Etienne, premier martyr à suivi le Seigneur dans la mort, et les nourrissons de Bethléem et de Juda, cruellement massacrés, font cortège à l’Enfant de la crèche. Ces derniers sont sans voix, comme le sont tant d’innocents aujourd’hui encore dans notre monde, qui ne peuvent pas se défendre, car personne ne leur donne la parole, ou bien parce qu’ils ne peuvent pas parler comme ces enfants qu’on supprime avant même qu’ils ne soient venus au monde.

         Le massacre des Innocents, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui, peut inspirer des sentiments de révolte et être même un obstacle à la foi. C’est ce que disait Camus : tant qu’il y aura un enfant innocent qui meurt, je ne croirai pas en Dieu. Le massacre des Innocents nous place devant le mysterium iniquitatis qui heurte profondément la sensibilité et la raison humaines. Il n’y a pas de réponse raisonnable au mystère du mal et de la souffrance. Seul celui qui accepte de ployer le genou devant l’image du crucifié, le parfait Innocent à vrai dire, parce qu’absolument sans péché, seul celui-là, dans la foi, peut lire les évènements de l’histoire, les drames de l’histoire, sans détourner son regard, sans faire semblant de ne pas voir ou sans sombrer dans le désespoir. C’est parce que nous gardons notre regard fixé sur le Crucifié que nous pouvons aussi contempler l’Enfant de la crèche, sans détourner nos yeux des Innocents massacrés. Lorsque sur la croix, Jésus fait de sa mort un sacrifice d’amour, il ouvre le ciel à tous les brigands repentants de l’humanité ; lorsqu’il intercède pour tous les bourreaux de l’histoire, ce n’est pas seulement sa vie livrée qui prend sens, mais celle de tous ceux qu’il récapitule dans son offrande, c’est-à-dire toutes les victimes innocentes qui participent mystérieusement à son sacrifice rédempteur.

         Si l’Eglise a eu très tôt l’audace de célébrer les Saints Innocents de Bethléem, c’est parce qu’elle avait commencé par célébrer la Pâque du Christ, sa mort et sa résurrection ; et qu’elle signifiait ainsi que ces innocents avaient été étroitement unis à celui qui est notre défenseur devant le Père, Jésus-Christ le Juste. Lui qui est la victime offerte, qui fait de toutes les morts innocentes des sacrifices parfaits de charité, consumés dans le Feu de son Amour divin.

         Seigneur Jésus, devant la souffrance des innocents, aide-nous à tourner notre regard vers ta Croix, pour y lire le mystère d’un Dieu d’amour qui se fait solidaire de notre condition humaine, jusqu’à l’extrême. Amen.

Mgr Francis Bestion

Navigation