14 mars 2021 - 4ème dimanche de Carême – Année B — Diocèse de Tulle

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14 mars 2021 - 4ème dimanche de Carême – Année B

Communauté Corrézienne de Paris

         Frères et sœurs,

         En ce 4ème dimanche de Carême – appelé dimanche de la joie, à cause de l'antienne d'ouverture de la messe qui exhorte à se réjouir – la liturgie nous invite à nous "hâter avec amour au-devant des fêtes pascales qui approchent". Pour les catéchumènes, il s'agit de marcher vers le baptême en prenant davantage conscience du grand amour dont Dieu nous a aimés en nous donnant la vie avec le Christ, nous qui étions morts par suite de nos fautes ; il s'agit pour eux qui se préparent à "l'illumination" et au bain de la nouvelle naissance, de bien prendre conscience que "c'est par grâce que nous sommes sauvés et par le moyen de la foi", comme l'explique l'Apôtre saint Paul aux Ephésiens. Quant à nous qui sommes de 'vieux' chrétiens, je veux dire des baptisés de longue date, nous sommes invités à découvrir d'une façon renouvelée ce qui constitue le cœur de notre foi pour que notre façon de vivre soit davantage en cohérence avec la foi que nous professons.

         Nous courons en effet le risque, chers frères et sœurs, de devenir des habitués de la foi. D'une certaine façon, la foi va à l'encontre de certaines évidences qui sont le lot de l'expérience commune des hommes. C'est vrai aujourd'hui, comme cela l'était pour le Peuple de la Première Alliance. Le Peuple de Dieu pouvait-il croire à l'Amour de Dieu alors qu'il vivait la dure épreuve du désert de l'Exode et subissait la morsure mortelle des serpents qui entraînait la mort de beaucoup de personnes ? Le Peuple élu pouvait-il croire à la fidélité de Dieu alors que les Babyloniens détruisaient la ville sainte de Jérusalem et, pire encore, incendiaient le Temple ?

         Ces évènements font partie d'une histoire très ancienne dont on peut toujours dire qu'elle ne nous intéresse guère aujourd'hui… On peut en dire autant de toutes les calamités et atrocités de l'histoire, y compris celles plus récentes du siècle passé qui ont assombri l'histoire de l'Europe et du monde. Le problème est qu'aujourd'hui encore l'histoire humaine continue d'être traversée par toutes sortes de drames et d'horreurs, même si certains ne nous atteignent pas personnellement et risquent donc de nous laisser indifférents. Il n'en va pas de même lorsque nous sommes témoins et victimes de la souffrance, du mal, de la mort, dans le concret de nos existences. Comment alors continuer à croire que Dieu est amour et qu'il tient ses promesses ? C'est l'objection  que,  vous comme moi, nous entendons, de manière récurrente, de la part des personnes qui se déclarent athées ou agnostiques, de la part de certains qui aimeraient croire et qui n'y arrivent pas.

         Face à ces questions, il faut que nous nous mettions toujours plus à l'école de la Sainte Ecriture, car elle fait la relecture des évènements, y compris les plus dramatiques de l'histoire du Peuple hébreu, dans la conviction que Dieu n'abandonne pas ceux qu'il a choisis. Nous en avons un exemple, dans la première lecture, tirée du livre des Chroniques. Il nous révèle qu'en dépit des lâches infidélités et des péchés graves du Peuple, Dieu a manifesté sa miséricorde. Il n'a pas cessé d'envoyer des messagers, des prophètes, même si ceux-ci étaient bien souvent critiqués, tournés en dérision, même si leurs paroles étaient méprisées, et même si on les faisait périr. L'auteur sacré nous dit que "finalement, il n'y eut pas de remède" et que les babyloniens saccagèrent Jérusalem et brûlèrent le Temple. Alors le peuple pouvait se demander, naturellement (c'était 'humain' comme on dit parfois pour s’excuser soi-même ou excuser les autres des égarements et même du péché), le peuple de Dieu pouvait se demandait : Mais que fait Dieu ? Est-il aveugle ? Est-il sourd ? Est-il absent ? Comment peut-il nous laisser conduire en déportation ? De même qu'aujourd'hui certains se demandent aussi que fait Dieu quand un enfant meurt, quand une famille se dissout, quand la maladie est insurmontable, quand la vieillesse devient difficile…

         La Bible ne prétend pas expliquer avec des arguments irréfutables le mystère du mal et de la mort, mais elle nous amène à lire et à interpréter l'histoire d'Israël, celle de l'humanité et notre propre histoire, non pas comme une accumulation de péripéties irrationnelles et absurdes, mais plutôt comme des évènements qui s'éclairent dans l'accomplissement du dessein miséricordieux de Dieu. C'est ainsi qu'alors que tout semble définitivement perdu pour le Peuple en exil à Babylone, le Seigneur fait se lever du milieu des nations païennes le roi perse Cyrus qui mettra fin à la déportation des israélites.

         L'Apôtre saint Paul, dans sa lettre aux Ephésiens, condense en quelques phrases ce qui constitue le cœur de notre foi chrétienne. A savoir qu' "à cause du grand amour dont Dieu nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a fait revivre avec le Christ". Dieu, "riche en miséricorde", nous a sauvés par pure grâce, sans aucun mérite de notre part. Sous la plume de l'Apôtre on trouve cette affirmation inouïe : "Avec le Christ, Dieu nous a ressuscités". Autrement dit, c'est acquis, même si pour nous qui vivons encore dans le temps, cela reste à venir. Tout comme le Serpent de bronze élevé par Moïse dans le désert était un remède pour ceux qui étaient victimes de la morsure des serpents, la puissance de salut et de vie éternelle est advenue pour nous en Jésus-Christ élevé sur la Croix. Tout homme qui désormais lève les yeux vers le Seigneur en Croix et qui, dans la foi, le reconnaît, est guéri de la mort, est sauvé.

         Frères et sœurs, c'est en regardant, dans la foi, la Croix du Sauveur, que nous pouvons envisager notre vie et celle de toute l'humanité. Nous pouvons y découvrir l'action mystérieuse de Dieu qui ouvre une brèche, une porte, un chemin pour la vie, à travers les ombres de la mort. Plus encore, cette contemplation du Mystère de la Croix du Sauveur nous amène à changer notre façon de vivre et nous offre la seule clef ultimement valable pour lire et interpréter les évènements de notre histoire. Notre horizon ici-bas ne peut pas se réduire à celui des fluctuations de la bourse et des variations du P.I.B., comme si notre espérance reposait sur les indices de la croissance, comme si notre salut était suspendu au développement de la consommation pour faire remonter la croissance. En fixant nos regards sur la Croix du Christ, nous devons être rendus capables d'entrer dans le regard de la miséricorde que notre Dieu porte sur nous, et donc aussi de pouvoir discerner les chemins de vie et les chemins de mort.

         Quand le Christ sera suspendu au bois de la croix, bien peu lèveront les yeux vers lui pour reconnaître la puissance de l'Amour divin. Nous, baptisés, nous devons nous entraîner les uns les autres – c'est cela la route de conversion du Carême – à regarder avec les yeux de la foi celui dont la lance a transpercé le côté, Celui qui attire à lui tous les hommes ; nous devons nous mettre à l'écoute de l'Apôtre qui a vu le Sang et l'Eau jaillir du cœur transpercé, afin que nous soyons rendus capables de puiser à cette Source l'eau vive du Salut. Ce n'est qu'ainsi que nous pouvons assumer avec sérénité, avec force, avec persévérance, avec joie, les évènements de notre existence.

         Frères et sœurs, que le Seigneur fasse croître en nous la Foi au Fils mort et ressuscité pour notre salut. Dans cette foi pascale, nous ne périrons pas ; nous obtiendrons la vie éternelle.

Mgr Francis Bestion