11 avril 2017 - Mardi saint — Diocèse de Tulle

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11 avril 2017 - Mardi saint

Messe chrismale - Cathédrale - Tulle

Frères et sœurs, la messe chrismale était autrefois la messe des prêtres autour de l’évêque. J’ai connu cela quand j’étais séminariste et jeune prêtre. La plupart des prêtres, ici, l’ont connu.

Aujourd’hui, la messe chrismale est une liturgie importante pour les prêtres – aussi pour les diacres – puisqu’ils y renouvellent les engagements de leur ordination. Elle est traditionnellement liée au Jeudi saint où le Christ institua le sacrement de l’Eucharistie et le sacrement de l’Ordre, même si pour des raisons pastorales, on peut la célébrer l’un des jours qui précèdent le jeudi saint. C’est ce que nous faisons.

Les prêtres concélèbrent cette messe avec l’évêque, car ils sont les témoins et les coopérateurs de l’évêque dans la confection du saint-chrême, eux qui partagent sa mission sacrée d’édifier le peuple de Dieu, de le sanctifier et de le guider ; et ils manifestent ainsi l’unité du sacerdoce et du sacrifice du Christ, continuellement présents dans l’Eglise. Dans deux mois, le 18 juin, le chrême consacré aujourd’hui servira à oindre les mains de celui que j’ordonnerai prêtre dans cette cathédrale, Bernard Zimmermann.

Plus largement, la messe chrismale est la manifestation de l’unité de tout le peuple de Dieu ; elle donne à voir l’Eglise comme communion missionnaire, avec ses ministres ordonnés, ses consacrés, ses laïcs qui ont reçu une mission particulière et tous les autres baptisés appelés à vivre l’apostolat en raison de leur baptême et de leur confirmation.

L’Eglise est ce qu’elle est par la complémentarité des appels de Dieu sur les personnes qui la constituent. C’est un peuple d’appelés et d’envoyés. Ce qui est sûr, c’est que la proportion de ceux qui font ceci ou cela est le secret de Dieu et dépend des appels qu’il adresse à chacun et non des messes à assurer chaque dimanche et des presbytères à occuper.

L’Esprit-Saint, faut-il le préciser, n’adresse pas ses appels au hasard : il le fait de telle sorte que dans une Eglise locale donnée, tous les appels retentissent et que la variété de tous les états de vie soir représentée. L’Eglise est en bonne santé quand elle laisse retentir les appels de l’Esprit et aide chacun à y répondre. Et ces appels, alors, suscitent des engendrements réciproques : des laïcs engendrent des prêtres et des diacres, mais c’est le ministère des prêtres et des diacres qui engendre les baptisés à leur dignité sacerdotale et royale.

Si les vocations et états de vie sont complémentaires, si chacun dépend des autres, dans cette logique d’engendrement réciproque, alors les communautés et les divers lieux d’Eglise où, par grâce, cette complémentarité existe, doivent être des lieux où le dynamisme ecclésial, missionnaire rejaillit sans cesse à partir d’elle.

Mais, il faut bien reconnaître que ce n’est pas toujours ce qui a existé dans le passé, ni ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Voilà pourquoi les derniers papes – Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI, et maintenant François – n’ont cessé d’appeler à un réveil missionnaire dans l’Eglise. L’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, la joie de l’Evangile, est un fervent plaidoyer pour une Eglise de disciples-missionnaires. Nos Orientations pastorales diocésaines sont nées de cette Exhortation du Saint-Père. Elles nous appellent à une conversion, une réforme dans nos manières d’envisager la vie des communautés et à un élan nouveau pour la mission, l’évangélisation.

A la fin de cette année pastorale, des prêtres cesseront d’exercer la charge de curés, parce qu’ils ont atteint l’âge de 75 ans ou qu’ils ont déjà largement dépassé cet âge, et qu’il n’est pas raisonnable qu’ils portent encore cette charge jusqu’à l’épuisement, jusqu’à leur dernier souffle. Ils ne cesseront pas d’être prêtre ; selon leurs forces, ils continueront d’exercer le ministère sacerdotal, mais sans avoir la responsabilité d’une communauté locale. Plutôt que de se plaindre de leur départ, nous devons leur exprimer notre reconnaissance et eux doivent aider leurs paroissiens à aller de l’avant sans un curé résident. Personne ne sera abandonné, mais ces communautés devront faire un effort pour se prendre davantage en mains, avec le soutien d’un ou plusieurs prêtres qui viendront vers elles. C’est déjà le cas pour beaucoup de communautés locales qui n’ont pas de prêtre résident. Il n’est plus possible aujourd’hui de laisser un prêtre tout seul dans un grand ensemble paroissial.

A la dernière Assemblée des évêques, à Lourdes, il y a 15 jours, un évêque a donné lecture d’une lettre d’un jeune prêtre qui donne son témoignage ; il me semble que ce témoignage conforte les décisions prises sur la vie et le ministère des prêtres dans nos Orientations diocésaines. Aussi je crois bon de vous lire ce témoignage, qui m’a impressionné :

« Dans mon année diaconale nous étions une dizaine. Depuis notre ordination diaconale (il y a cinq ans) la moitié déjà a soit quitté le ministère, soit subit un burn-out, ou une dépression. Nous ne sommes plus que cinq, à ce jour, pleinement « opérationnels. »

Il faudrait aussi rajouter les jeunes, et quelques moins jeunes, prêtres d’autres « promotions » que j’ai vu dans ces mêmes années partir ou craquer. Cela en fait encore au moins sept.

En cinq ans, à l’échelle provinciale et au vu du nombre effectif de prêtres, le nombre de départs et de victimes de burn-out ou dépressions me semble assez conséquent. Et je n’évoque que ceux que je connais.

Cette situation m’interroge profondément, voire me met en colère. En effet, il s’agit avant tout de personnes qui ont été plus ou moins brisées dans leur itinéraire, ou en tout cas qui vivent une épreuve difficile.

Dans l’itinéraire de chacun il y a bien sûr la part des fragilités personnelles et le discernement opéré dans le for interne. Je n’ai pas bien sûr à m’exprimer sur ces points. Mais il y a sûrement une sollicitude fraternelle à exprimer à chacun.

Par contre il y a également la part des conditions concrètes de vie et d’exercice du ministère qui sont à prendre en compte. Sur ces points nous pouvons opérer une réflexion sérieuse et sans doute prendre les mesures qui nous sembleront les plus adéquates. Il ne s’agit pas d’évacuer la croix. Les difficultés inhérentes au ministère et à la vie seront toujours là ; et que serait l’Evangile sans la croix et le mystère de Pâques ?

Voici donc quelques questions qui me semblent liées aux épreuves qui ont conduit aux départs de certains, aux burn-out d’autres :

- La multiplicité des charges, des missions confiées ne risque-t-elle pas de faire perdre le sens de ce que nous vivons et de ce pour quoi nous nous sommes engagés ?

- Qu’en est-il de notre rythme de vie ? Savons-nous nous arrêter ? Se référer sans cesse à la nécessité de l’Evangélisation ne tourne-t-il pas parfois à une complaisance cachée dans l’activisme ?

- Le modèle pastoral lui-même et l’organisation, fondés sur un maillage territorial, sont-ils encore pertinents et ne sont-ils pas là encore facteurs d’épuisement et de dispersion ? Et n’empêchent-ils pas un dynamisme et des initiatives ?

- Notre logique pastorale, et plus profondément la manière de vivre de nos communautés chrétiennes correspondent-elles encore à ce qu’est la vie de nos contemporains aujourd’hui ?

- Si certains prêtres souhaitent entrer dans cette nouvelle logique pastorale, nos paroissiens « traditionnels » n’y sont pas préparés et continuent de « fonctionner » comme ils l’ont toujours fait. Cela peut-être aussi source de pression.

Pour finir, je ne crois pas que la crise vécue par nombre de mes confrères soit juste une question d’organisation de leur emploi du temps et de contingences matérielles. Il y a me semble-t-il, derrière cela, un appel à un renouvellement profond de la vie en communauté chrétienne. Un renouvellement dans l’être, qui dans le contexte nouveau d’aujourd’hui, conduira à un visage lui aussi nouveau, voire inédit de l’organisation et de la « forme » de nos communautés ».

 

Frères et sœurs, si je vous ai lu cette lettre, ce n’est pas pour faire du psycho-drame, mais pour que nous prenions conscience que les temps changent et que la prise en charge de nos communautés par le peu de prêtres que nous avons ne peut pas continuer comme par le passé. La création des fraternités de prêtres n’est pas une lubie de votre évêque. Ma longue expérience dans les Séminaires m’a mis au contact de nombreux diocèses et de prêtres et m’a fait prendre conscience que ce qu’on demande aujourd’hui aux prêtres n’est plus adapté à notre situation. Les évêques ont le devoir de veiller à la santé des prêtres, à leur équilibre de vie. Ce n’est pas bon qu’un prêtre soit seul sur un large territoire. Ce n’est bon ni pour lui ni pour les communautés dont il a la charge.

Nous devons penser à un autre modèle de prise en charge des communautés chrétiennes. Nos Orientations diocésaines vont en ce sens. Ce ne sera pas facile, car nous vivons sur un modèle hérité du Moyen-âge. Les plus anciens parmi nous sont nés alors que ce modèle était encore porteur, même si cela fait plus de cinquante ans qu’il montre ses limites et qu’on y a répondu en se contentant d’agrandir les groupements paroissiaux.

Il ne s’agit pas d’idéaliser les fraternités presbytérales qui se mettront en place. Elles ne résoudront pas tous les problèmes, mais elles permettront d’alléger la tâche des prêtres qui porteront ensemble la charge des communautés sur un grand espace ; elles permettront un nouvel équilibre de vie et un soutien par la vie fraternelle et dans la vie spirituelle. Pour cela, nous devons compter sur les Equipes d’Animation pastorale qui ont vocation à être des relais importants entre les communautés et les prêtres en charge de ces communautés. Il ne s’agit pas de cléricaliser les membres de ces Equipes, mais de les responsabiliser davantage et de leur donner les moyens de se ressourcer pour vivre leur mission. Les fraternités presbytérales ne doivent pas aboutir à éloigner les prêtres de la vie des Communautés, mais elles supposeront un autre mode de présence et d’accompagnement.

Frères et sœurs, que chacun porte ces changements dans la prière, que chacun se sente interpellé à son propre niveau, à sa propre place. Nous avons tous besoin les uns des autres pour mener à bien cette réforme. Elle suppose des déplacements, pas seulement dans l’espace, mais dans les cœurs. Puissions-nous œuvrer pour que notre Eglise soit plus fraternelle, plus missionnaire et plus appelante.

 

+ Francis BESTION

Evêque de Tulle

 

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