Mercredi 24 décembre 2014 - Messe de la Nuit de Noël — Diocèse de Tulle

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Mercredi 24 décembre 2014 - Messe de la Nuit de Noël

Cathédrale de Tulle

En cette nuit où nous célébrons la Nativité du Sauveur, voilà que nous sommes habités par un mélange de sentiments. Bien sûr, pour une part, nous sommes dans la joie. Et il y a même des personnes de notre entourage qui n’ont presque pas ou pas du tout de connaissance de Jésus et qui, pourtant, vont faire la fête. Pour beaucoup ce sera l’occasion de vivre un moment familial intense autour de l’échange de cadeaux. Pour nous qui sommes ici, il s’agit sans doute de bien plus que cela ; cette nuit est une nuit de joie, parce que nous voulons vivre le mystère liturgique de la naissance du Sauveur.

Et, pourtant, d’un autre côté, nous ne pouvons pas faire abstraction des difficultés présentes de notre histoire humaine : difficultés d’ordre économique, pays en guerre,

persécutions des chrétiens en Irak et dans bien d'autres pays, peuples affamés, réfugiés croupissant dans des camps ou des centres de rétention, etc… Difficultés plus personnelles aussi : chômage, familles divisées, amis ou familiers frappés par la maladie ou le deuil, et combien d’autres misères cachées… Autant de situations qui nous mettent mal à l’aise, presque comme si nous avions mauvaise conscience. Devant tant de souffrances et de peines, avons-nous le droit de nous laisser aller à la joie au risque de paraître demeurer insensibles à toutes ces misères ?

Frères et sœurs, ce malaise, nous ne pouvons pas l’évacuer, car il témoigne tout simplement de ce qui fait la réalité de l’existence humaine. Et cependant, comme les bergers, nous entendons résonner dans nos âmes la promesse divine des messagers célestes dans la nuit de Bethléem : « Paix sur la terre aux hommes que Dieu aime ! » Et comme ces bergers, nous croyons que cette parole d’espérance nous est adressée personnellement et en Eglise. Elle n’efface pas les difficultés de la vie, comme si elle s’apparentait à un coup de baguette magique… Mais elle est une promesse qui vient fortifier notre espérance, l’espérance de l’humanité tout au long de son histoire mouvementée et chaotique ; c’est la promesse d’un Dieu qui aime tous les hommes et qui veut les combler de sa Paix.

Dès lors, cette certitude nous place inévitablement devant l’épreuve de la foi, car elle nous confronte à la grande question qui traverse la destinée humaine : comment croire à l’amour de Dieu pour les hommes, comment croire à sa promesse de paix alors que notre existence nous soumet à toutes sortes de difficultés, d’épreuves et de souffrances ? L’amour de Dieu peut-il coexister avec la misère de notre monde ? Ces deux réalités sont-elles compatibles ?

Regardons ce qui se passe dans cette nuit de Bethléem : nous y voyons le Dieu Tout-Puissant venir se manifester aux hommes de cette terre, non pas avec ce qui fait la force et la renommée des grands empires (dont nous savons par ailleurs qu’ils sont éphémères), mais dans la faiblesse et la fragilité extrême d’un « enfant nouveau-né couché sur la paille de la mangeoire d’une étable ». Et pourtant ce bébé se présente comme le Sauveur du monde. Avec quelles armes prétend-il nous sauver, avec quelles forces économiques, avec quelles stratégies de développement, avec quelles recettes de progrès ? Aucune ! Ce n’est pas par une victoire spectaculaire sur les forces du mal qu’il nous sauve mais par le don de sa vie qu’il fait par pur amour. Dans l’enfant de la crèche se trouve la plus grande leçon du catéchisme, celle qu’il nous faut garder sans cesse à l’esprit : ce qui a sauvé le monde, ce qui continue de le sauver, ce qui le sauvera, c’est l’amour.

Le mystère de Noël nous fait même découvrir en profondeur que cet amour dont Dieu nous aime est totalement gratuit. C’est un amour de don et de service. Toute la vie de Jésus en est une illustration. Il en a donné une preuve suprême, lorsque, après la Cène, il s’est mis a genou devant ses Apôtres pour leur laver les pieds – signe qui préludait à l'offrande de sa vie sur la Croix.

Voilà la réponse qui nous permet de sortir du malaise où nous pouvons nous trouver en fêtant Noël, parce que nos cœurs sont habités par des sentiments contradictoires, comme je vous le disais à l’instant. Les réalités paradoxales que sont l’amour de Dieu d’un côté et le malheur du monde de l’autre, nous ne pouvons pas les faire s’accorder par des explications philosophiques subtiles qui parviendrait à faire se tenir ensemble ou s’harmoniser les contraires… Ce que nous contemplons dans le mystère de la crèche, inséparable de celui de la croix, c’est l’amour de Dieu assumant la misère du monde en prenant la condition humaine, en épousant sa misère et sa faiblesse. Il prend chair de notre chair, il s’offre pour nous sur le bois de la croix, pour prendre sur lui tout le mal du monde. Ceux qui fêtent Noël sans connaître le mystère de Pâques n'ont pas vraiment accès au sens profond de la Nativité du Sauveur. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'Eglise a célébré le Mystère pascal du Christ avant de célébrer sa naissance.

Dès lors, nous comprenons que si cette nuit est une nuit d’espérance et donc de joie, ce n’est pas parce qu’elle viendrait supprimer nos malheurs et nos souffrances ou simplement nous les faire oublier quelques instants à la manière d’un analgésique spirituel. C’est une nuit d’espérance parce qu’elle nous indique le seul chemin pour ne pas sombrer dans la morosité, pour ne pas défaillir à cause des épreuves. Ce chemin, c’est de nous en remettre à l’amour, de laisser l’amour nous transformer, au plus intime de nous-mêmes, en serviteurs de nos frères. « Ce que j’ai fait pour vous, faites-le les uns pour les autres ». Ce sont les paroles de Jésus après qu’il ait lavé les pieds de ses disciples.

Frères et sœurs, notre joie de chrétiens en cette sainte nuit n’est pas malsaine ; ce n’est pas la joie de ceux qui feraient semblant de ne pas voir le malheur des autres. Notre joie, nous la recevons comme le signe de l’amour qui nous est donné par notre Dieu pour que nous nous engagions nous-mêmes à nous aimer les uns les autres.

 

En venant en ce monde, en naissant dans la condition des enfants les plus pauvres – comme ceux des bergers – le Fils de Dieu nous délivre un message que nous n’aurons jamais fini d’approfondir : notre salut vient de l’amour et seulement de l’amour, et cet amour est inséparable de la faiblesse et de la pauvreté. C’est ce qui fera dire à Saint Paul : « Pour vous, le Seigneur Jésus-Christ, de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour vous enrichir de sa pauvreté ». Quand nous cherchons à posséder plus, quand nous rêvons de sécurité et de garanties pour l’avenir, le mystère de la crèche, lui, place ailleurs l’espérance de notre vie. Et cet ailleurs, c’est celui de l’amour.

En cette nuit de Noël, il nous est donné de comprendre que l’amour qui sauve n’est pas compatible avec certaines formes de puissance. L’amour qui sauve ne repose pas sur la séduction des biens de ce monde, mais sur la fidélité de celui qui aime. C’est ainsi que Dieu ne nous manifeste pas son amour en venant aplanir les difficultés et les obstacles inhérents à la condition humaine, mais en venant les partager avec nous, en venant les partager jusqu’au bout.

Frères et sœurs, en cette nuit où nous recevons le message de l’amour de Dieu qui offre sa vie, laissons-nous gagner par la joie céleste, en acceptant, avec Jésus, d’entrer dans une vie de partage et de don de nous-mêmes. Pourrions-nous être joyeux si notre amour fuyait les misères de notre monde ? Que la pauvreté et la faiblesse de l’enfant Jésus soient pour nous source de fraternité, de service joyeux de nos frères et de paix profonde. Amen.