Rencontre avec Monseigneur Claude RAULT — Diocèse de Tulle

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Rencontre avec Monseigneur Claude RAULT

Publié le 07/05/2019
Le vendredi 10 mai 2019, le groupe des amis corréziens de l’hebdo La Vie recevait Claude Rault, évêque du Sahara, aux grottes de Saint Antoine à Brive, devant une assistance nombreuse et très attentive pour nous entretenir de l’indispensable nécessité d’un dialogue interreligieux, thème de cette soirée.

Claude Rault, Père blanc, est arrivé en Algérie en 1970, huit ans après l'indépendance. Il y a vécu 45 ans, dont 40 dans le désert. En 1970, de nombreux collèges, centres de santé, écoles, institutions de formation des jeunes filles étaient encore gérés par l’Église. Le gouvernement algérien avait demandé à l’Église de rester pour continuer à apporter sa contribution au développement du pays.

Pour Claude Rault, cet engagement n'était pas de faire du prosélytisme, mais de construire une humanité plurielle, respectant chacun dans sa différence.

Pour illustrer cette expérience de fraternité, Claude Rault nous fit part de l'un de ses souvenirs les plus marquants: le père d'un élève de 16 ans avait été tué en 1962, par l'armée française. En 1971, un groupe d'amis est venu, de France, rendre visite à Claude Rault. La mère du jeune homme l'invita ainsi que ses amis à déjeuner chez elle. Ce fut pour eux un signe vivant du pardon, le signe que le pays se tournait vers l'avenir plutôt que vers le passé. Une fraternité était possible. Dans l'Islam, l'hôte est un hôte de Dieu. En 1972, Claude Rault part à Rome pour se former à la langue arabe dialectale et mieux connaître l'Islam. À son retour, il prend un poste de moniteur adjoint dans un centre de préformation professionnelle. Pour lui, il s'agissait de donner leur chance à des jeunes qui avaient tout raté. Mais en 1976, le gouvernement algérien nationalisa les centres gérés par les Pères Blancs. Ils n'étaient pas mis dehors, mais il leur fallait trouver une autre place. Il s'engagea alors dans l'enseignement public algérien à Touggourt. Une grande fraternité se tisse entre les jeunes professeurs et lui-même.Autre souvenir très marquant: à la fin d'un cours, quatre jeunes filles lui demandèrent de devenir musulman : « Car si tu ne te convertis pas, tu iras en enfer ». Pour le père Rault, ces paroles résonnèrent comme une profession d'amour, non une profession de foi. L'amitié, l'Amour est la première attitude à cultiver avec les musulmans, et non pas la concurrence, la conquête...Quand Claude Rault quitta Touggourt, le directeur de l'établissement regretta son départ: il aurait aimé garder un lien avec l’Église.À son arrivée à Ghardaïa, Claude Rault recherche un travail: il pense que c'est une nécessité pour créer des liens. Il demande à l'un de ses amis, dinandier, de lui apprendre son métier : il s'agit de marteler le cuivre pour fabriquer des objets utilitaires ou décoratifs. De la position de professeur, il passe à celle d'élève; quatre ouvriers algériens lui apprennent le métier. À leur contact, il met aussi en pratique la langue arabe dialectale. En 1976, il est appelé comme Vicaire Général du diocèse de Laghouat-Ghardaïa, grand comme quatre fois la France, soit la totalité du Sahara algérien. Là-bas il va à la rencontre de petites communautés religieuses très dispersées, totalisant une centaine de catholiques, et de leurs amis musulmans.Le Père sillonne le désert où il ne s'est jamais ennuyé: « Le désert est très changeant; il est une belle image de notre intériorité, avec ses zones d'ombre et de lumière ». En 1994, le Front Islamique du Salut prit le pouvoir. S'ouvrirent alors des années noires pour l'Algérie. Cette guerre civile s'acheva en 1999, avec l'arrivée au pouvoir d'Abdelaziz Bouteflika. Celui-ci instaura un pacte de concorde nationale; le peuple algérien fit alors preuve d'une capacité de résilience étonnante. Il fallut alors relancer l’Église, re-nourrir toutes les petites communautés dans cette Algérie qui continuait à grandir.À partir des années 2000, l’Église est passée d'une position postcoloniale à une position universelle: ses membres venaient du monde entier; grâce à cela, l’Église a pu maintenir sa présence en Algérie. En 2004, Claude Rault est nommé évêque et refait le tour de son diocèse. De nouvelles communautés sont présentes, au milieu du peuple algérien.

L’Église n'est pas là pour faire de nouveaux membres, elle est au service de Dieu, œuvrant à la croissance en humanité de tous. Le dialogue inter-religieux se fait dans la vie quotidienne, les fêtes, les mariages, les enterrements...Pas de conférences, mais une présence vivante, auprès des mamans d'enfants handicapés par exemple ou auprès des femmes, en les aidant à créer des coopératives.L’Église a aussi restitué au peuple algérien son histoire, par l'intermédiaire de tout un patrimoine photographique qu'elle avait conservé.

 

Le père Rault nous confie, à la fin de cette soirée, qu'il a été très impressionné par la dimension transcendantale de la religion musulmane. Les musulmans se montrent très paisibles face aux épreuves de la vie. Ils font une référence immédiate avec l'absolu de Dieu. Leurs attitudes ruissellent de cette relation forte à Dieu.Il évoquera aussi son lien avec Christian de Chergé, prieur de Tibhirine. Ensemble ils ont fondé « Le lien de la paix » ou « Ribat es-Salam ». Partager l'expérience spirituelle, religieuse, prier ensemble, chacun à partir de sa propre intériorité. La plus forte prière est le silence partagé, où chacun prie Dieu. Pour le Père Rault, le dialogue inter-religieux n'est pas de l'ordre du discours mais de celui du partage de la vie intérieure: enfant du même Dieu, enfant du même père. C'est un devoir aussi de connaître la religion de l'autre pour mieux le respecter et ne pas l'ignorer. Car, pour respecter l'autre, il faut le connaître. La béatification de dix-neuf martyrs chrétiens, le 8 décembre 2018, au cours d'une messe chrétienne célébrée en Algérie a été possible. Le gouvernement algérien l'a comprise comme une pierre apportée à l’œuvre de réconciliation. Durant cette fête, cent quatorze Imam, assassinés, ont aussi été honorés. Ce fut une belle image de fraternité, présentée à la face du monde, et selon lui, une belle conclusion de ces quarante-cinq années passées en Algérie. Aujourd’hui, il est au service de l’Église. L’assistance a posé de nombreuses questions sur la nécessité du dialogue entre les différentes religions pour mieux nous respecter et nous comprendre.

Nous avons été très impressionnés par la simplicité, par la limpidité et la force du témoignage du Père Claude Rault. Son engagement, non pas pour convaincre, mais dans le partage, nous a beaucoup enthousiasmés.