Mon retour de mission de 6 mois à Madagascar auprès de l’AFFD
Publié le 15/09/2025Peux-tu nous rappeler en quoi consistait ta mission à Madagascar ?
Me voila de retour de 6 mois passés à Madagascar grâce à la DCC (Délégation Catholique pour la Coopération) auprès des jeunes filles accueillies au sein des foyers de l’AFFD (Aide aux Filles et Femmes en Détresse) à Antsirabe et Fianarantso. À Antsirabe, l’AFFD est soutenue par les Ursulines de Jésus. Cette association française se donne pour objectif la protection puis la réinsertion professionnelle de jeunes filles de 12 à 18 ans qui ont subi des violences physiques ou morales. Elles n’ont parfois pas eu d’autre choix que de se prostituer pour survivre et subvenir aux besoins de leur famille. À l’AFFD, elles trouvent refuge, soin, éducation et tâchent de se reconstruire pour être de jeunes femmes prêtes à nouveau à affronter la vie parfois encore dure qui leur est réservée à la sortie. Elles sont très bien formées à la broderie et à la couture, produits typiques de l’artisanat malgache.
Mon rôle durant ces 6 mois a consisté en l’adaptation de programmes scolaires pour que ces jeunes filles (venant de la rue ou n’ayant pas ou peu été scolarisées faute de moyens des familles) acquièrent un certain niveau scolaire qu’elles puissent transférer du mieux possible dans les métiers qu’elles pourront occuper (couture, broderie, cuisine). Il leur faut se rendre vite autonomes dans ces métiers qui ne font que très difficilement sortir de la précarité.
Peux-tu nous parler de joies vécues ?
Il m’était loin d’être aisé d’échanger avec les filles. Les nouvelles recrues, parfois issues de la rue avaient même du mal à parler correctement entre elles. Dans ces difficultés naissait l’un des plus beaux moyens de communication : le rire … et les beaux sourires qui vont avec. Je les faisais rire lorsque je parlais malagasy avec maladresse : elles devaient deviner ou tâcher de comprendre ce que j’avais voulu exprimer en quelques mots mal rangés. Quel exercice ! Elles riaient aussi de ce que j’osais faire avec elles, comme une enfant, alors que j’étais censée représenter la « conseillère pédagogique ». Je me souviendrai toujours de ce jour (dans les derniers jours quand même !) où j’ai brisé le protocole en passant sous la table plutôt qu’en en faisant un interminable tour pour aller prononcer un discours d’au-revoir! Soyez rassuré, il n’y avait pas d’invités extérieurs au centre et je me sentais chez moi avec ceux qui étaient présents. Les gestes aussi, de tendresse, d’affection, de complicité. Leurs câlins du soir après l’école me manquent et c’est moi qui suis devenue mendiante de leur amour.
Je dois rajouter pour les corréziens combien je me suis sentie soutenue par la prière des paroisses pour la mission, que j’avais vraiment l’impression de vivre en communion avec l’Eglise en Corrèze. Je me suis sentie envoyée, par la DCC notamment, mais également par chacun de ceux qui m’ont encouragée - ma communauté CVX entre autre- dans cette mission. Quelle joie de se sentir légère quand on se sent portée !!
J’ai eu la grande joie aussi de pouvoir vivre quotidiennement des temps de prières au sein des communautés religieuses qui m’accueillaient. Mais je partagerais particulièrement le rendez-vous de prière que nous nous offrions le vendredi soir à Fianarantsoa entre volontaires de la DCC et de la Fidesco. Car, oui, c’était bien vécu comme un vrai cadeau par chacun ! Pouvoir s’épancher régulièrement sur notre mission nous permettait de rester debout et de repartir de plus belle…
Un étonnement ?
Plutôt des émerveillements…
Je suis émerveillée par toutes les associations qui œuvrent pour la protection de l’enfance à Madagascar et dans le monde et pour tant d’autres causes. Combien d’associations découvertes ! Chacune dans leur secteur, elles redonnent vie à tant de personnes. La tâche parait insurmontable, l’œuvre est immense. Dieu est vraiment à l’œuvre et nous aime tant ! Il n’y a pas d’échec, il y a des parcours, des étapes de vie dans des parcours de vie. On ne cherche pas, dans ces œuvres, à savoir d’où les gens viennent mais on sait où on veut aller ensemble…
De même, ici, en Europe, lorsque nous prions pour les « pauvres », nous pensons trop souvent en terme économique. Là-bas, j’ai pu ressentir que nous confiions au Seigneur toutes nos pauvretés de cœur… Celles que le Seigneur est venu guérir. Rendons à ce terme ce qu’il représente vraiment en Église !
As-tu vécu des difficultés ? As-tu réussi à les surmonter ?
Il m’a été difficile d’être aussi visible et considérée bien souvent comme un « portefeuille sur pattes ». J’ai réussi malgré tout à renverser parfois la donne. Puisque j’habitais la ville pour un certain temps, que je n’étais pas de passage, je me disais que je pourrais être amenée à recroiser les gens. Je leur partageais donc que j’habitais dans tel quartier, que j’étais bénévole, volontaire et que je n’avais pas plus d’argent par mois qu’eux, que je m’occupais des filles de la rue. Les regards changeaient, des échanges avaient lieu. On me demandait alors des nouvelles des filles et surtout, plutôt que de demander de l’argent comme on le fait avec les touristes, on me demandait (ou je proposais) une prière. Je rends encore grâce pour toutes ces intentions confiées !
Et autre douleur, gravée à jamais… ces maraudes le soir pour faire connaître l’AFFD aux filles des rues, et qui nous connaissaient parfois… Un soir, une fillette de 13 ans, les yeux éteints, son bébé dans le dos !
Et pour le dire autrement… quelques mots en malagazy?
Pour exprimer autrement ce que j’ai en partie vécu à l’AFFD ou à Madagascar, comme des signes, permettez-moi de vous proposer les trois mots qui me resteront en malagasy. (Vous noterez au passage que je ne dis pas « malgache » car les postulantes de la communauté des Ursulines me partageaient ne pas aimer ce mot car en deux mots, cela donne « mal » « gâche ») :
Asafady (prononcé asafad’): qui veut dire « pardon, excusez-moi » ou « s’il te/vous plait ». Il peut donc être utilisé au moins deux fois dans une même phrase !! Parfois, je me serais bien excusée d’être aussi visible : la grande blanche, signe de richesse, qui attire tous les regards. Les derniers mois, lorsqu’on ne disait bonjour qu’à moi (Salamo Vasaha/ Bonjour l’étrangère) je faisais remarquer aux gens qui me saluaient qu’ils avaient oublié d’ouvrir les yeux sur toutes les personnes qui m’entouraient, adultes ou enfants et qui étaient ma raison d’être parmi eux.
Milalao : qui veut dire « jouer ». Avec les rires, c’était mon autre porte d’entrée en contact avec les filles. Même les plus farouches ou celles qui se croyaient déjà trop grandes pour jouer lâchaient prise assez vite. Les filles ont au sein des foyers de l’AFFD l’occasion de retrouver l’innocence des enfants. Quel plaisir que ces parties de « puissance 4 », de mémo ou de basket qui nous donnaient confiance à toutes pour entamer des conversations plus profondes. Et je ne vous parle pas de ma joie du samedi après-midi de danser avec elles sous l’œil si bienveillant d’un « coach de danse »… Un homme (!!) qui leur parle d’intégrité de leur corps et leur redonne par la danse envie de l’aimer… et espérons-le un jour d’aimer.
Maloto : qui veut dire « sale ». Je ne cessais de leur répéter ce mot et leur demandais de faire attention à la salubrité de l’eau surtout... Je réalise que je craignais plus pour leur santé que pour la mienne. Malgré mon désir de m’approcher au plus près d’elles en partageant leur vie, je n’ai guère pu mesurer la fragilité de la vie autrement que par la leur. Je savais la mienne bien surveillée et n’ai pu m’enlever de la tête qu’elles n’avaient pas d’assurance rapatriement ! Et la mission ne s’est pas arrêtée à ce que j’étais venue offrir aux filles. Loin des engagements chronophages que j’ai pris en France, je me suis donc sentie un peu en vacances, y compris en acceptant des « missions annexes » qui me donnaient autant de joie.