Méditations du Père Elisée sur le Triduum Pascal — Diocèse de Tulle

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Méditations du Père Elisée sur le Triduum Pascal

Publié le 04/04/2021
Les méditations sont rédigées par le Père Elisée, moine grec-melkite. Les deux fresques appartiennent au monastère de la Résurrection d'Aubazine.
1°- La dernière cène

« Le Seigneur, Roi de tous et Dieu créateur, sans changement a revêtu notre humaine pauvreté ; et lui-même, étant notre Pâque s’est offert à ceux qu’il voulait sauver par sa mort : ‘prenez et mangez, ceci est mon corps, vous y trouverez l’aliment de votre foi’. » (liturgie byzantine). Celui qui est la Parole éternelle se donne lui même en nourriture et offre sa vie entière pour le salut de l’univers, portant à sa plénitude le dessein de Dieu conçu dès avant les siècles, cette alliance qui doit associer ses créatures à son existence divine, à sa vie la plus intime. Sous les espèces matérielles du pain et du vin, son Corps rompu pour nous mais non divisé, toujours mangé mais jamais épuisé, prolonge jusqu’à la fin des temps sa présence parmi nous, non plus dans une existence humaine incarnée, mais sous la forme du sacrement qui nous associe à lui de manière indestructible.

2°- Le lavement des pieds

« Unis par le lien de la charité, les apôtres se laissèrent laver les pieds par le Christ Seigneur de l’univers, pour devenir les brillants messagers annonçant au monde l’évangile de paix » (liturgie byzantine). Le Maître nous a prévenus : « Les soi-disant chefs des nations les dominent en seigneurs, et leurs grands exercent de haut leur pouvoir sur elles. Il n’en sera pas ainsi parmi vous ! Mais celui qui, chez vous, voudra devenir grand sera votre serviteur et qui voudra y être premier sera esclave de tous. Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir » (Mc 10, 42-45). Paradoxe de la toute-puissance divine ! Aux antipodes de la fausse autorité, procédant en dernier ressort du « Prince de se monde », qui ne se conçoit qu’en dominant, écrasant et humiliant, le Seigneur et créateur de toutes choses, par un geste d’esclave, nous montre le chemin de la véritable souveraineté et lève le voile sur l’essence de l’agir divin. L’humilité du créateur manifeste le véritable pouvoir, nous laissant un exemple afin que nous suivions ses traces.

3°- L’agonie à Gethsémani

Au jardin des oliviers se déroule un mystère inconcevable. Le Dieu immortel, par nature inaccessible à toute souffrance et faiblesse, semble défaillir devant l’épouvantable épreuve qui se dessine. Il marque en cela son appartenance sans restriction aucune – à l’exception du péché – à notre condition humaine, ressentant son horreur instinctive devant la mort, qui est a fortiori inimaginable pour un Dieu immortel. Mais il devait en être ainsi. Le Verbe incarné doit prendre sur lui chaque âge, chaque aspect de notre nature afin que, uni en lui à sa divinité, tout soit assumé et racheté, car « tout ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé, et tout ce qui est uni est guéri » (Grégoire de Nazianze). Néanmoins, tandis que la « chair » qu’il a prise, c’est-à-dire notre humanité avec ses limitations, se rebiffe, sa propre volonté humaine adhère héroïquement à la volonté divine voulant le salut de tous par l’acceptation de la coupe d’amertume et l’assentiment à l’épreuve salvifique.

4°- Le Christ porte sa croix

Spectacle affligeant que ce long prélude à la passion, ou l’humanité montre ce qu’elle a de pire : le sadisme envers un être sans défense ; les vociférations de la foule versatile, masse moutonnière où se dilue tout libre-arbitre, pour exiger la mort de celui qu’elle acclamait comme « venant au nom du Seigneur » (Mt 21, 9) quelques jours plus tôt ; la jalousie, l’aveuglement et l’acharnement de l’autorité religieuse ; la lâcheté et la démission du pouvoir légal… Pour autant, le Christ n’est pas le jouet impuissant de ces forces aveugles et destructrices. « La nuit où il fut livré – ou plutôt se livra lui-même », dit le canon de la messe byzantine, ce qui montre sa maîtrise secrète sur ces événements terribles. Contre toute apparence, c’est lui qui règne sur le cours des choses et manifeste sa souveraineté jusque dans son humiliation, qu’éclaire et domine son étrange sérénité. Car « il devait en être ainsi selon les Écritures » et même la folie humaine peut tourner à l’accomplissement du plan divin.

5°- Jésus meurt sur la croix

Les manifestations cosmiques qui accompagnent la mort du Christ en croix expriment la stupeur de la matière insensible devant cet événement impossible : la mort infamante du Verbe immortel. La création tout entière est saisie d’effroi. C’était pourtant inévitable : le Verbe incarné devait goûter la mort, cette passivité ultime de toute chair, afin de la renverser. Car c’est bien de victoire qu’il est question, et de la Sagesse de Dieu, indéchiffrable aux forces adverses, « une sagesse mystérieuse, celle qui a été cachée et qu’avant les siècles Dieu a destinée pour notre gloire, celle qu’aucun des chefs de ce siècle n’a connue, car s’il l’avait connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire » (1 Co 2, 7-8). Elles croyaient faire taire à jamais la Parole éternelle et asseoir leur tyrannie par son meurtre, or ce sont elles qui sont définitivement défaites. La croix est comme un pieux planté dans le cœur des puissances infernales, un cheval de Troie qui introduit le Verbe incorruptible et libérateur dans le monde des ténèbres et de l’Hadès.

6°- La descente aux enfers

La descente aux « enfers » (séjour des morts, shéol d'après l'Ancien Testament) est un épisode central de notre salut. Par elle, le Christ peut se présenter à toute créature pour lui proposer le salut. Il faut pour le comprendre abandonner notre conception chronologique et séquentielle de la durée. Lorsque l’on meurt, on sort du temps et il n’y a plus ni passé ni avenir, mais l’éternel présent de Dieu.

Ce fait est illustré par un détail rapporté par l’évangile de Matthieu : dès l’instant de la mort du Christ en croix, « les sépulcres s’ouvrent, de nombreux corps de saints endormis se réveillent. Ils sortent des sépulcres après son réveil et entrent dans la ville sainte et se manifestent à beaucoup » (Mt 27, 52-53). Il ne s’agit pas de zombies, mais « d’esprits en prison » (1 P 3,19) libérés par la visite du Christ. Les « enfers » sont un lieu spirituel hors du temps. Par la commune expérience de la mort, Jésus y rejoint tout homme passé, présent et à venir afin de se faire connaître de lui face à face et de lui offrir la libération, la résurrection et la vie.

7°- La résurrection

Une anecdote illustrera la force invincible de la résurrection. Au plus fort de la persécution bolchévique, dans les années 1920, un groupe de propagandistes rassemble les moujiks d’un village. Avec toutes les ressources de la dialectique et force arguments, ils prêchent l’athéisme et prétendent ruiner la superstition religieuse. Aux termes de l’exposé, ils demandent si quelqu’un à quelque chose à dire. Se présente le pope du village, accueilli de mauvaise grâce, mais qui assure n’avoir à dire que deux mots et prononce : CHRISTOS VOSKRÉSSIÉ (« le Christ est ressuscité ! »). Ce à quoi l’assemblée répond unanimement : « En vérité, il est ressuscité ! » La résurrection est cet événement, inexplicable aux yeux de la connaissance humaine, qui est l’axe de la création nouvelle. Comme « il n’était pas possible que le Prince de la vie fût soumis à la corruption » (canon de la messe byzantine), il a pulvérisé la mort par sa divinité et inauguré, pour tous, le mode d’existence de la vie ressuscitée.

8°- L’apparition à Marie Madeleine

Il y a comme un parfum édénique dans cette apparition rapportée par l’évangile de Jean. La scène se passe dans un jardin. Il faut imaginer la profusion impétueuse, brève et colorée, de la flore lors du printemps palestinien. Nonobstant les événements tragiques entre tous qui ont précédé, nous sommes comme en l’Éden. D’ailleurs, Marie-Madeleine commence à prendre Jésus pour le jardinier. En un sens, elle n’a pas tort : Dieu est bien le jardinier soigneux et attentif de sa création, et l’objet privilégié de son zèle est l’homme lui-même, à qui s’applique le dialogue qui suit : « Ne me retiens pas » (et non « ne me touche pas ») (Jn 20, 17). L’heure des affections humaines est passée, et il faut entrer dans un nouveau mode d’existence. « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Jn 20, 17) L’équivalence est ainsi affirmée entre le Fils éternel et les fils des hommes. Désormais inclus en lui pour toujours, ils sont voués à siéger avec lui dans la gloire du Royaume.

9°- L’apparition aux disciples d’Emmaüs

Tout avait passé si vite ! Les événements des derniers jours étaient si déroutants ! Les disciples d’Emmaüs étaient encore pleins de leurs rêves vains de revanche, d’établissement d’un royaume terrestre dont les moyens ne sauraient être que « mondains ». Ils n’étaient pas sortis de la gangue des espérances anciennes. En cela, ils sont bien représentatifs des hommes, nous y compris, « sans intelligence, cœurs lents à croire à tout ce qu’ont dit les prophètes. » Il n’est pas étonnant qu’ils ne reconnaissent pas, dans le Ressuscité qui chemine avec eux, le Messie qu’ils avaient façonné à leur manière. C’est d’ailleurs un trait général de toutes les apparitions après la résurrection, car Jésus s’y manifeste comme étant le même que lors de sa vie terrestre, mais néanmoins différent, car il est désormais « entré dans sa gloire ». Telle est la vertu de la rencontre avec le Ressuscité : elle bouscule nos certitudes passées, notre « vieil homme », et nous force à exister comme au-dessus de nous-mêmes.

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