La liberté des enfants de Dieu — Diocèse de Tulle

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

La liberté des enfants de Dieu

Publié le 08/03/2021
Entretien avec Thierry Fourest, aumônier de la Maison d'Arrêt de Tulle
Pourriez-vous vous présenter à ceux qui ne vous connaissent pas ?

Je suis corrèzien depuis une quarantaine d'années, originaire de Haute-Vienne. Toute ma vie, j'ai été travailleur social. En retraite depuis trois ans, je suis engagé sur l'accompagnement des prisons et des familles en deuil sur la Communauté locale de Tulle.

Pourriez-vous nous présenter sommairement les établissements pénitentiaires présents en Corrèze et nous dire le type de prisonniers qu'ils abritent ?

En Corrèze, nous avons une maison d'arrêt sur Tulle de 44 places qui abrite en moyenne entre 75 et 80 détenus. On est proche donc des 200 % d’occupation que l'on constate un peu partout. Elle abrite des personnes en détention provisoire en attente de jugement, parfois depuis longtemps dans le cadre des assises. On y trouve aussi des primo-condamnés que le juge trouve particulièrement fragiles, à surveiller un petit plus près que s'ils étaient en centre de détention, et des peines inférieures à trois ans. Elles peuvent être utilisées pour ne pas couper le lien avec une famille en construction ou des enfants qui viennent de naître. Nous avons également sur la Corrèze le centre de détention d'Uzerche. Il a fait l'objet de nombreux articles dans la presse l'an dernier à l'occasion d'une mutinerie qui a été la plus importante de France lors du confinement. Ce centre de détention comporte 600 places. Du fait des dégradations lors de la mutinerie, ils sont actuellement 180 détenus. Depuis le début du mois de janvier, on assiste à un retour d'une vingtaine de détenus par semaine pour revenir à cet effectif de 600 détenus. Centre de détention de longues - voire très longues - peines, mais avec une prise en charge différente. Les gens ne sont pas en cellule toute la journée, ils sont en quartier. Ils ont accès à des formations comme en maison d'arrêt d'ailleurs, mais d'une manière plus importante. Ils ont également accès à des possibilités de travail.

Quel est le rôle d'une aumônerie de prison ?

Le rôle d'une aumônerie de prison, c'est d'être en envoi, non pas à titre personnel, mais au nom de l’Église diocésaine. C'est vraiment l’Église qui nous envoie, avec l'accord de l'administration pénitentiaire puisqu'il faut avoir le double agrément : à la fois être appelé et envoyé par son évêque, et à la fois aussi être « labellisé » par l'administration pénitentiaire qui exerce un contrôle strict sur les entrées. Sur la maison d'arrêt de Tulle, nous sommes une équipe de six personnes, avec moi-même en tant que responsable de l'aumônerie. J’ai un statut un petit peu bâtard de contractuel de l'administration pénitentiaire puisque je suis indemnisé pour la fonction que j'occupe, comme  ma collège d'Uzerche Maryse Helloco. L'indemnisation que l'on perçoit est bien sûr intégralement reversée au diocèse et sert à financer les activités de l'aumônerie. En plus de ces aumôniers indemnisés, nous avons des aumôniers bénévoles au nombre de trois sur Tulle et également des auxiliaires d'aumônerie. Nous avons également la chance sur Tulle d'avoir deux prêtres accompagnateurs pour l'équipe et qui sont garants de tout ce qui est de l'ordre du sacramentel en prison.

Quel est votre rôle en particulier en tant que responsable laïc au sein de cette pastorale des prisons ?

Peut-être dire en préambule que la seule exigence que l'on puisse avoir pour intervenir en aumônerie, c'est d'être capable de distinguer totalement la personne humaine que l'on a en face de soi, de l'acte qu'elle a commis. Si l’on n'est pas capable de faire cette distinction, c'est très compliqué d'aller en détention. Le rôle de l'aumônier, c'est d'abord de donner de la fraternité à des gens qui sont assommés souvent par leur incarcération, même s'ils sont responsables de cette incarcération. Les accompagner dans une restauration de leur dignité d'enfant de Dieu. C'est pour cela que nous sommes envoyés pour leur permettre de croire qu'il y a un avenir possible dans l'amour de Dieu, à condition de passer par une véritable introspection des événements qui les ont conduits à commettre des délits et être incarcérés, et de se placer dans une démarche de contrition.

Vous croisez souvent des prisonniers. Vous échangez un peu avec eux. Pouvez-vous nous dire quel est leur  rapport à Dieu et la religion ?

La personne qui vient à l'aumônerie a fait une demande pour cela. Pour respecter la loi de 1905, nous n'avons aucun droit de faire du prosélytisme. Concrètement, la personne lorsqu'elle est incarcérée reçoit l'information sur les différentes activités proposées en détention, dont la possibilité de participer à un culte. Donc, moi, cela se passe par un petit mot que je trouve dans le casier de l'aumônerie : tel détenu souhaite rencontrer l'aumônier et participer aux activités de l'aumônerie. C'est  le principe de base.

On est très concrètement dans Mathieu 25 : « J'étais en prison et vous êtes venus jusqu'à moi ». Notre rôle est donc là venir, donner de la fraternité, leur donner de l'amour et puis leur permettre avec l'aide de nos prêtres accompagnateurs écouter la Parole de Dieu, la partager et surtout de s'interroger sur le faux pas qu'il les a amené à commettre des délits et à être incarcérés. Dans la prise en charge de ce faux-pas, prendre en compte la victime et le mal que l'on a pu lui faire.

Il faut aussi préciser aussi qu'une des missions qui nous est demandée, c'est de favoriser un lien entre le dedans et le dehors. Si je prends l'exemple de Tulle, les détenus de la Maison d'arrêt de Tulle font partie de la paroisse de Tulle. Ce sont des chrétiens certes empêchés d'aller à la cathédrale, à Saint-Joseph ou Saint-Jean pour participer à la messe, mais ils font partie intégrante de notre paroisse. À ce titre, je suis assez satisfait de ce que l'on peut faire : tous les ans maintenant pour le troisième dimanche de l'Avent la prière universelle est rédigée par les détenus et elle est lue dans les paroisses avec l'accord des prêtres qui célèbrent. Elle a été lue dans beaucoup de paroisses cette année. On a encore un temps fort qui est la célébration de la Lunade ; cette année elle a été un petit peu bouleversée par les événements sanitaires, mais normalement, une des croix du parcours (celle du Marquisat pour les Tullistes qui connaissent) est réservée à la lecture de prières rédigées par les détenus. Quand nous portons la parole pour les détenus, nous sommes assez interpellés par le silence qui règne à l'écoute des mots qu'ils mettent pour s'adresser à Dieu. Beaucoup de gens utilisent ce temps d'incarcération pour revenir à une foi qu'ils ont quittée. Il nous arrive aussi d'accueillir des évangélistes, des orthodoxes qui viennent célébrer avec nous, voire occasionnellement un musulman. La prison est en quelque sorte un laboratoire d'oecuménisme.

La prison est-elle pour certains d'entre eux l'occasion de remise en cause de leur vie, voire une conversion ?

Oui, nous avons des demandes de sacrements. Sur la maison d'arrêt c'est un petit peu compliqué en raison des règles qui sont fixées par l’Église pour tous, sur le temps de discernement et de réflexion. Ce sont des démarches à long terme qui vont plutôt se passer dans des centres de détention où les détenus restent plus longtemps. Nous appartenons à la région Aquitaine, qui va de la Rochelle à Bayonne en passant par Guéret, donc un certain nombre d'établissements pénitentiaires dans lesquels il y a régulièrement des baptêmes et des confirmations avec des évêques qui se déplacent. Mgr Bestion vient célébrer tous les ans, à Noël et Pâques, la messe avec les détenus parce que c'est la place des chrétiens d'être auprès de ceux qui sont incarcérés.

Il y a beaucoup de personnes en France et dans le monde qui sont victimes d'agressions ou d'autres crimes. L'actualité nous en fournit de nombreux exemples. Est-ce que dans ce contexte la priorité ne serait-elle pas de prendre soin des victimes plutôt que des coupables ?

Les deux sont à tenir ensemble. Notre rôle à nous, envoyés par l’Église, c'est bien de venir assister fraternellement des frères qui sont dans la difficulté. Il est hors de question de ne pas parler de la place des victimes lorsqu'un détenu nous sollicite pour avoir un entretien individuel avec un prêtre dans le cadre du sacrement de la réconciliation. Il est bien évident que l'on parle de la victime, du mal qu'il a fait. Mais il ne faut pas confondre contrition et culpabilité. Ce qui est fait est fait, il faut le regarder lucidement, et le regretter. Il faut tout mettre en place pour remettre ses pas dans le chemin du Christ et revenir vers lui. Mais nous savons tous que le Christ nous aime particulièrement quand nous sommes pécheurs : il est venu pour les malades, non pas pour les bien-portants. Il y a beaucoup d'associations qui s'occupent des victimes et heureusement, car les victimes ont besoin d'être reconnues en tant que telles et d'être prises en charge. Mais ce n'est pas la fonction principale des aumôniers de prison qui sont aux côtés de leurs frères incarcérés.

Nous qui sommes pour la plupart très éloignés de cet univers carcéral, peut-être un peu craintifs devant cet environnement qui nous paraît si loin, comment accomplir ce commandement du Christ : visiter ceux qui sont en prison, comme nous le demande l'Évangile ?

Les visiteurs de prison existent. Ce sont des gens qui sont choisis par l'administration pénitentiaire, ils ne sont pas envoyés par l’Église. Lorsque le directeur de l'établissement repère un détenu qui souffre de solitude, il peut demander l‘intervention d’un visiteur de prison. Mais je pense que les chrétiens du dehors participent déjà beaucoup à la vie des aumôneries de prison. Nous avons des gens qui nous aident financièrement, nous avons des partenariats avec des scouts, avec certains catéchistes locaux qui rédigent des petites cartes de soutien à l'occasion des fêtes de Noël ou de Pâques. Elles sont remises aux détenus, avec bien sûr toutes les précautions d'usage pour que le détenu ne sache pas quel enfant l’a envoyé. Nous avons eu aussi pendant longtemps l'intervention des franciscains de Saint-Antoine. Tous les ans encore, ils font une prière particulière pour les détenus et nous offrent le cierge pascal qui accompagne toutes nos célébrations. Nous sommes aidés, nous ne sommes pas isolés au niveau de l’Église. Ce que je voudrais dire que l'aumônerie des prisons, comme l'aumônerie des hôpitaux, sont un petit peu les églises en périphérie. Peut-être un peu moins visibles que d’autres, mais ce sont des églises qui sont très actives. Poussés par la difficulté, la souffrance de la maladie comme la souffrance de l'incarcération, nous allons directement à l'essentiel qui est de chercher l'amour du Christ qui nous est proposé d'une manière inconditionnelle, quelque soit l'acte que l'on a commis.

Est-ce que vous auriez un dernier message pour les diocésains ?

Ne jamais oublier qu'en tant que citoyen, n'importe quel petit écart de la vie peut nous conduire en détention. Je pense aux délits routiers qui sont gros pourvoyeurs d'incarcération, de gens totalement insérés. On n'a pas été là au bon moment, au bon endroit, ou on n'a pas eu la bonne attitude ; on a paniqué ou on était sous le coup d'une substance interdite. Ne jamais oublier cela, parce que cela nous permet justement de comprendre que personne n'est à l'abri de problèmes judiciaires, quelque que soit la bonne personne que l'on soit.

Et prier pour nos frères incarcérés parce qu'ils ont besoin de nos prières. Quand on leur dit qu'à l'extérieur , le dimanche, la prière universelle qu'ils ont écrite est lue en paroisse avec des gens qui prient pour eux, quand ils font le constat qu'il y a deux fois par semaine des bénévoles viennent les rencontrer pour leur parler uniquement de l'amour de Dieu, ils sont apaisés.

 

Mots-clés associés :