Les consacrés et le monde — Diocèse de Tulle

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Les consacrés et le monde

Publié le 27/03/2024
En s'offrant à Dieu, les consacrés sont aussi offerts au monde, comme nous le rappellent les frères franciscains dans l'entretien ci-dessous. Ce qui n'empêche pas la vie consacrée d'être un signe de contradiction, ou du moins un objet d'interrogation, pour nombre de personnes.
Église en Corrèze – Tout d'abord, comment la figure de saint Antoine porte-t-elle votre vie de consacrés ?

Frère Henri – La première réflexion qui me vient, c’est que saint Antoine est un disciple tellement fidèle de saint François qu'il en partage totalement ses valeurs de simplicité et de proximité. Valeurs qui me touchent personnellement et qui touchent également les gens. Et même lorsqu'il est envoyé, par exemple dans le Sud-Ouest de la France, pour lutter aussi contre l'hérésie, toujours il le fera avec  bienveillance. Il ne trahira pas la vérité mais il agira toujours avec miséricorde, avec proximité. Un peu comme Jésus, il inventera aussi des paraboles pour pouvoir être proche des gens. Et ça, c'est astucieux : cela permet aux personnes de ne pas se sentir mises en cause personnellement, mais de pouvoir reconnaître par elles-mêmes leurs éventuelles erreurs.

Chez saint Antoine, sa profonde intelligence se conjugue avec une grande simplicité et un amour profond des personnes. Aujourd'hui encore, même sans forcément tout connaître de  sa vie, les personnes perçoivent intuitivement qu'il est le saint de tout le monde. C'est pourquoi en France et dans le monde, on ne peut pas entrer dans une église sans y trouver une statue de saint Antoine.

Vous êtes amenés par votre accueil sur le sanctuaire et par vos diverses missions  à rencontrer beaucoup de personnes, souvent loin de la foi. Comment réagissent-elles au fait que vous soyez consacrés ?

Frère Jean-Paul – Nous côtoyons en effet les étudiants du lycée Bahuet qui viennent nous rencontrer en début d'année. Nous les accompagnons aussi dans le cadre d'une pastorale, puisque le frère David est le prêtre référent, nommé par l'évêque, pour la pastorale du lycée Bahuet.

Et c'est toujours un étonnement. Oui, une interrogation par rapport à notre type de vie. Dans leurs questions, ils sont toujours bienveillants, mais en même temps, ils questionnent. Parce que ce type de vie, effectivement, les interpelle : le célibat, la vie simple et pauvre, l'obéissance… Pourquoi ? Pourquoi consacrer toute sa vie à quelqu'un qu'on ne voit pas ?

Les personnes qui viennent sur le site sont interpellées par notre simplicité de vie. Mais aussi par le fait que nous formons une communauté et que nous nous entendons bien. Je pense qu'il y a là un témoignage. Nous sommes de cultures différentes, de pays différents, de caractères différents. Et cette vie fraternelle questionne.

Vous portez l’habit des franciscains. L’habit fait-il le moine ?

Frère Henri –  À défaut de faire le moine, il fait signe ! Pour les gens, nous sommes repérés d'emblée. Cela leur permet de pouvoir facilement entrer en relation avec nous.

Et la première chose que les gens nous renvoient quand ils viennent ici, qu'ils soient croyants ou incroyants, c’est le côté paisible du lieu, la simplicité qui s'en dégage. Ça, c'est saint François qui l’a fabriqué en nous. Notre manière d’être avec les gens et entre nous, là est notre première prédication. Les gens sont heureux de voir que nous ne nous prenons pas au sérieux. On blague facilement entre nous et ça prêche tout seul. « Voyez comme ils s’aiment », cela revient à ça. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas entre nous de sujets difficiles, parce que nous n'avons pas les mêmes manières de les aborder. Mais nous avons, de par notre règle de vie, une habitude de traiter les questions difficiles : ce n'est pas en termes de pouvoir qu’elles sont pensées. Nous cherchons toujours le consensus. Je peux témoigner, étant sur place ici depuis huit ans : je n'ai jamais assisté à une altercation entre les frères. Il y a eu des choses difficiles qu'il fallait traverser, des sujets compliqués, des désaccords… Mais les personnes se parlent. Pour saint François, notre forme de vie fraternelle est le premier lieu de notre conversion et de notre évangélisation.

Comment un consacré peut-il aimer le monde, sans se laisser happer par cet esprit du monde que Jésus rejette ?

Frère Jean-Paul – Nous sommes effectivement, par notre vie offerte à Dieu, offerts aussi au monde d'une certaine manière. Et donc ce monde, nous devons l'aimer tel qu'il se présente, avec ses zones obscures et ses zones de clarté. Car Jésus  a été envoyé dans ce monde. François d'Assise a vécu dans ce monde, a rencontré les grands de ce monde et les plus petits. François se disait frère de tous et en particulier du plus petit. Quand vous rencontrez le plus petit, vous pouvez rencontrer le plus grand. En revanche, si vous vous limitez simplement aux plus grands, aux puissants de ce monde, vous risquez de ne pas rencontrer les petits. L’attitude de François, c'est de se placer au niveau du plus petit et de rencontrer la société telle qu'elle est, pour dire le message de l'Évangile, quitte parfois à ruer dans les brancards. Mais toujours avec bienveillance et dans un souci du bien commun.

Frère Henri – Sur cette question du monde et de l'Évangile, sur ce contraste qui existe entre les deux, saint François a quand même été astucieux.  En effet, il a hésité entre se retirer dans la vie contemplative, c'est-à-dire en retrait du monde pour mieux être présent à Dieu, et la vie dans le monde. Et il a demandé conseil à sainte Claire, qui l’a a aidé dans son discernement. Elle lui a dit : « Surtout, reste dans le monde ! » et saint François n'a pas renoncé à son désir de vie contemplative. Il a simplement résolu la question en disant « désormais, notre cloître, c’est le monde. »

Car ce monde, c'est le monde créé par Dieu. Donc nous avons à apprendre en vivre en ce monde en proximité fraternelle, à poser ce regard contemplatif qui permet de faire advenir en toute personne, aussi défigurée soit-elle, ce qui est en elle et qu’elle ne soupçonne pas : sa beauté personnelle, qui vient de Dieu. C'est tout un art que d'être fraternellement présents aux personnes.

 

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