2 juillet 2017 - 13ème dimanche du temps ordinaire – année A — Diocèse de Tulle

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2 juillet 2017 - 13ème dimanche du temps ordinaire – année A

« Au revoir » au Père Jean Rigal comme curé - Collégiale Saint-Martin - Brive

Frères et sœurs,

Les paroles de Jésus que nous venons d’écouter – ce sont des conseils qu’il donne aux Douze Apôtres avant de les envoyer en mission – peuvent nous étonner et même nous déranger, à cause de leur radicalité, de leur tranchant. Marcher à la suite de Jésus semble relever d’un choix très particulier qui passe avant tout le reste, y compris avant notre propre famille, ceux qui nous sont naturellement le plus proches et le plus chers, c’est-à-dire nos parents ou nos enfants. Comme si nous devions choisir : ou bien nos père et mère ou bien Jésus ; ou bien nos fils et fille ou bien Jésus.

En écoutant ces paroles, nous devons d’abord nous rappeler que ce que Jésus recommande aux Douze, il se l’est d’abord appliqué à lui-même, pour donner la priorité absolue à la mission qu’il avait reçue de son Père. Un autre évangéliste, saint Marc, ne manque pas de noter, à plusieurs reprises, que Jésus dût prendre des distances avec les membres de sa propre famille (famille au sens large, tel qu’on l’entendait en Orient). Certains de sa famille pensaient qu’il avait perdu la tête et que leur devoir était de le ramener à la raison, quitte à la contraindre. Pensons aussi à l’épisode où des gens viennent lui dire que sa famille le cherche et à qui il répond : « ma mère et mes frères ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique ».

Dans la première lecture, il est question du prophète Elisée, et nous savons qu’il avait laissé sa charrue, ses bœufs et surtout ses proches pour suivre le prophète Elie et que ce choix ne s’était fait qu’après quelques tergiversations. On pourrait citer bien d’autres exemples dans la Bible.

Il est vrai que le choix de suivre le Christ, en prenant sa croix comme lui, peut s’avérer être un choix éprouvant et, c’est le cas de le dire, crucifiant. On comprend mieux les paroles de Jésus si on se rappelle les versets qui précèdent dans ce même évangile et si on se rappelle le contexte des premiers temps de l’Eglise où sévissait la persécution : « Je ne suis pas venu apporter la paix sur le terre, dit Jésus, mais le glaive. Car je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère et la belle-fille de sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa propre maison ». Cette prophétie de Jésus, bon nombre de chrétiens de la fin du premier siècle pouvaient en vérifier la véracité. On sait aujourd’hui que des martyrs de Rome furent dénoncés par des membres de leur famille ou par d’autres chrétiens qui voulurent sauver leur peau. Et que dire de ce qui se passa dans les siècles suivants jusqu’à nos jours ? Aujourd’hui encore, en certains pays d’Asie et du Moyen Orient, en Afrique du Nord et même chez nous, toute conversion au christianisme est interdite ou rendue très difficile.

Beaucoup de ceux qui deviennent chrétiens doivent remettre en cause des aspects de leur culture et partagent en quelque sorte le destin du Christ, parfois jusqu’à la mort. Dimanche dernier, j’ai accueilli à l’évêché un jeune tchèque qui était sur le retour de son pèlerinage à pied à Saint-Jacques de Compostelle. Il avait marché pendant six mois. Après avoir fait le postulat et le noviciat chez les Oblats de Marie immaculée, il va rentrer au Grand Séminaire pour se préparer à être prêtre dans cette Congrégation. Et il me disait que son choix avait entraîné une rupture totale avec ses parents. Depuis 3 ans, ils ne lui adressent plus la parole. Et je puis témoigner que dans mon expérience de formateur dans les Grands Séminaires, de telles situations n’étaient pas que des exceptions. Sans même parler de la vocation sacerdotale ou religieuse, on sait bien que beaucoup de jeunes aujourd’hui, chez nous, sont rejetés, harcelés, moqués par leur camarades ou des adultes, parfois par leurs parents, à cause de leur foi en Jésus-Christ. La persécution chez nous n’est pas sanglante, mais elle emprunte d’autres voies qui n’en sont pas moins des formes insidieuses de violence.

Frères et sœurs, les paroles de Jésus ne cesseront jamais d’interroger celui qui veut être son disciple. Il se tromperait gravement celui qui voudrait transformer en sucre le sel de l’Evangile. Ne devenons pas des chrétiens diabétiques !

Ce qui suit dans l’évangile d’aujourd’hui, après ces premières paroles de Jésus sur les choix crucifiants, est une conséquence logique. Elle se traduit par l’emploi d’un verbe répété 6 fois : « accueillir ». Là encore, le disciple est appelé à imiter le Maître. A chaque page des évangiles, on voit Jésus se montrait accueillant envers tous et en particulier envers les malades, les pauvres, les étrangers, les pécheurs. On peut même dire que Jésus s’est identifié à eux en se dépouillant de tout, jusqu’à sa propre vie. Nos communautés et chacun de leurs membres auront toujours à s’interroger sur leurs pratiques de l’accueil des personnes et cela dans tous les domaines.

Aujourd’hui, frères et sœurs, vous dites officiellement « au revoir » à votre pasteur, le Père Jean Rigal, qui pendant 11 ans a été à votre service comme curé. J’ai tenu à me joindre à vous pour cette célébration d’action de grâces pour le ministère sacerdotal et pastoral qu’il a accompli ici avec beaucoup de zèle et de sollicitude envers ceux qui lui étaient confiés par le Seigneur. Cela avec patience, sagesse et prudence, sans ménager sa peine pour essayer de se faire tout à tous, à l’exemple des Apôtre saint Pierre et saint Paul que nous fêtions il y a quelques jours. Avec vous, je veux lui exprimer notre profonde reconnaissance.

Les Evêques qui furent mes prédécesseurs n’avaient pas manqué de remarquer ses dispositions intellectuelles et ses capacités de formateur, et c’est ainsi qu’ils en firent d’abord un enseignant, un formateur dans les Grands Séminaires – charge ô combien belle mais aussi exigeante, car il s’agit non seulement d’enseigner la théologie et la doctrine chrétienne, mais d’accompagner humainement et spirituellement ceux qui se préparent à la prêtrise, de discerner, avec les autres prêtres du Séminaire, leurs capacités à exercer cette mission, et de faire en sorte qu’ils s’y préparent du mieux possible. Pour avoir moi-même rempli cette mission de formateur, je sais tout ce qu’elle a d’exaltant, mais aussi combien elle exige d’abnégation, de renoncement, de bienveillance et en même temps de prudence et de patience.

Après avoir formé des pasteurs pour les paroisses, le Père Jean est lui-même devenu curé à plein temps. Je mesure tout ce que ce ministère de conduite des communautés chrétiennes a dû entraîner de changement et d’adaptation dans sa vie et son ministère. Je ne crois pas m’écarter de la vérité en disant qu’il aspirait à être déchargé maintenant de cette lourde mission, non pas pour cesser tout ministère, mais d’abord pour se reposer quelques temps et ensuite pour continuer de servir d’une autre manière. Il sait que son évêque ne le laissera pas moisir car il a besoin de lui !

Aujourd’hui, vous le laissez partir ou, plutôt, selon la si belle expression du livre des Actes des Apôtres, vous « le remettez à la grâce de Dieu », et lui « vous confie à Dieu et à la parole de sa grâce ».

Une page se tourne pour les communautés de Brive et une autre va s’écrire. Un pasteur s’en va et d’autres vont arriver pour lui succéder. Le prêtre Jean a semé et d’autres récolteront (lui aussi, je l’espère, a récolté). D’autres sèmeront à leur tour. C’est ainsi que le Corps du Christ se construit pour que nous parvenions tous à la stature du Christ dans sa plénitude (Eph. 4, 13).

Ne succombez pas à la tentation de regarder en arrière et ne cédez pas à la facilité de comparer les personnes. J’évoquais à l’instant les deux grandes colonnes de l’Eglise, saint Pierre et saint Paul. Pierre n’était pas Paul et Paul n’était pas Pierre. Beaucoup de choses pouvaient les opposer, mais le Seigneur a eu besoin des deux pour édifier son Eglise ; et ce n’est pas pour rien que l’Eglise les célèbre le même jour en une unique fête. L’Eglise n’est pas une uniformité, elle est une communion. Au service d’une unique mission : étendre le Règne du Christ, annoncer à tous les hommes l’Evangile de la Joie et du Salut.

Que votre action de grâces en ce jour pour celui que le Seigneur avait mis à la tête de vos communautés se fasse aussi intercession pour ceux qu’il vous envoie comme ses successeurs ! Que chacun ici n’ait qu’un désir : vivre pour le Christ, aimer le Christ et aimer pour le Christ, servir le Christ et servir pour le Christ ! Amen.

 

+ Francis BESTION

Evêque de Tulle

 

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