16ème dimanche du Temps ordinaire - Année A — Diocèse de Tulle

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16ème dimanche du Temps ordinaire - Année A

Eglise Saint-Roch de Sornac,

à l’occasion de l’inauguration de la tapisserie d’Aubusson « la Femme qui reçoit des ailes » (Apoc. 12, 14), réalisée par André Chaulet, Maître lissier.

(En raison de la circonstance, on a choisi comme 2ème lecture le passage du livre de l’Apocalypse illustré par la tapisserie : Apoc. 12, 1-18)

Frères et sœurs,

S’il y a un problème qui a toujours mobilisé la pensée philosophique et théologique, c’est bien celui du mal. Il est sans doute la plus grande objection que l’homme élève contre l’idée de Dieu et l’existence de Dieu. Les auteurs sacrés de la Bible se sont eux-mêmes confrontés à cette question. Le livre de Job en est une parfaite illustration.

Les lectures de la Parole de Dieu que nous venons d’écouter révèlent aussi une part de ce questionnement sur l’origine du mal, de la souffrance, sur le péché et sur le combat que se livrent le bien et le mal dans le monde et dans le cœur de chaque être humain. Mais, plus encore, la Parole de Dieu, à l’aide d’allégories, d’images, de paraboles vient éclairer d’une clarté nouvelle le ‘mystère’ du mal – non pas pour le résoudre à la manière dont on résout une énigme, mais pour nous révéler l’action de Dieu et sa patience, dans nos vies fragiles et blessées par le péché, et pour nous inviter à la conversion du cœur.

La première réponse que Jésus offre à notre foi porte sur l’origine du mal. La présence de l’ivraie, mêlé au bon grain, dans le champ, viendrait-elle du Maître de ce champ qui aurait répandu la mauvaise semence en même temps que la bonne ? Bien sûr que non ! Aucun cultivateur ne serait assez insensé pour accomplir une telle action. Eh bien, de même que personne ne serait assez fou pour semer du chiendent dans son champ, de même Dieu, suprêmement intelligent et bon, ne peut être à l’origine du mal, à l’origine du péché, de la souffrance et de la mort qui existent dans le monde et chez les hommes de ce monde. L’œuvre créatrice de Dieu est bonne, comme ne cesse de le chanter le livre de la Genèse : « Et Dieu vit que cela était bon… que cela était très bon ».

La deuxième réponse de Jésus consiste à écarter l’hypothèse d’une nature humaine mauvaise dès l’origine. Le Maître du champ a semé en plein jour et en toute clarté du bon grain, mais un « Ennemi » est venu, de nuit, pour semer de l’ivraie. C’est une réalité que nous n’avons pas du mal à envisager, car nous faisons bien souvent l’expérience du péché qui s’insinue, qui s’infiltre sournoisement dans notre vie ; ce qui faisait dire à saint Paul : « Ma façon d’agir, je ne la comprends pas, car ce que je voudrais, cela, je ne le réalise pas ; mais ce que je déteste, c’est cela que je fais » (Rm 7, 15). Il ne s’agirait pas cependant de justifier les péchés que nous pouvons commettre (ce n’est pas ce que fait saint Paul !) en nous cachant, à bon compte, derrière le paravent de la « victimisation » - paravent, hélas, tellement répandu de nos jours – comme si nous étions tous de pauvres victimes et que personne ne serait jamais responsable du mal et du péché… Non, il ne s’agit pas de cela.

La parabole fait plutôt allusion à une sorte de combat qui se livre dans le monde et dans chacun de nos cœurs d’hommes et de femmes de ce monde. Ce combat, le visionnaire de l’Apocalypse le traduit dans une sorte de mise en scène gigantesque et terrifiante, où sont à l’œuvre un énorme Dragon et une Femme. Nous savons que la tradition catholique a vu dans cette Femme la Sainte Vierge Marie, puisqu’il est question d’un « enfant mâle » qu’elle met au monde et que le dragon veut s’empresser de dévorer. Comment ne pas faire un parallèle avec la naissance de l’enfant Jésus, lequel est menacé de mort par le roi Hérode, si bien que la Sainte Famille doit fuir en Egypte ! Cette Femme de l’Apocalypse est aussi l’image de l’Eglise. Comment ne pas faire un parallèle avec la situation de l’Eglise naissante persécutée par l’Empire romain et la situation de l’Eglise au cours des siècles jusqu’à aujourd’hui ! Quant au Dragon, il est clairement identifié par l’auteur du Livre comme étant « le Serpent des origines », le « Diable », « Satan, le séducteur du monde entier ». Apparemment un combat inégal, à l’instar de celui de David et Goliath ; apparemment un combat perdu d’avance… En fait, il n’en est rien. Le Dragon a beau combattre avec ses propres armées d’anges déchus, il est jeté à terre par Michel et ses anges. « Il ne fut pas le plus fort ». Il a beau, par la suite, se mettre à poursuivre la Femme, il ne peut s’en emparer, car voilà qu’à elle « sont données les deux ailes du grand Aigle » pour qu’elle s’envole au désert. 

C’est cette vision qui est illustrée par la tapisserie dont nous inaugurons l’installation dans cette église, aujourd’hui, et que vous pourrez contempler tout à l’heure ; et je tiens, au nom de la paroisse et du diocèse, à exprimer ma profonde reconnaissance à son auteur, M. Chaulet, à l’association « arts et culture Sornac » et à la Municipalité qui ont permis qu’elle soit désormais exposée ici à nos regards et aux regards de tous ceux qui franchiront le porche de cette église.

Dans cette vision de l’Apocalypse, nous n’avons aucune difficulté à reconnaître le combat que se livrent, en ce monde, jusqu’à la fin des temps, les forces du bien et du mal ; le combat de la Lumière et des ténèbres, dont il est aussi question dans le Prologue de l’Evangile selon saint Jean ; le combat qui se livre dans le cœur de chaque être humain, y compris dans le cœur des « fils de la Lumière » - selon l’expression du même saint Jean – et que saint Paul appelle aussi  le « combat spirituel ». Mais, pas plus dans le Prologue de saint Jean que dans le livre de l’Apocalypse ou dans les épîtres de l’Apôtre des Nations, il n’est question d’un quelconque manichéisme ! 

En effet, frères et sœurs, il y a une issue à ce combat, comme le chante le Cantique de l’Apocalypse, inséré à l’intérieur du récit de la vision : « Maintenant, voici le Salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! Il est rejeté l’accusateur de nos frères. Eux-mêmes l’ont vaincu par le Sang de l’Agneau… Cieux, soyez donc dans la joie et vous, habitants des cieux ! » Le Dragon n’a pas dévoré l’Enfant, il n’a pas pu s’emparer de la Femme, car elle a reçu les deux ailes de l’Aigle ! Le bon grain et l’ivraie auront beau pousser ensemble, au point qu’on ne puisse les démêler aisément sans mettre en péril la moisson, l’issue pourtant ne fait aucun doute. L’ivraie n’engloutira pas le bon grain ! L’Ennemi ne sera pas victorieux !

Comme la Femme de l’Apocalypse, nous pouvons connaître l’exode au désert – et comment ne pas penser, en ces temps que nous vivons, à tous les chrétiens persécutés, au Moyen Orient et ailleurs et qui sont contraints d’abandonner leur patrie et de s’exiler. Nous pouvons, nous aussi, connaître une sorte d’exode au désert, non seulement en raison des forces extérieures du mal, qui nous assaillent, mais plus encore par le ‘dragon’ du péché qui nous menace, parfois même à l’intérieur de l’Eglise et surtout à l’intérieur de notre propre cœur. Le peuple de la Première Alliance fit cette expérience douloureuse mais salutaire du désert de l’Exode. Jésus lui-même, quoique sans péché, connut l’épreuve de la Tentation au désert, mais il en sortit vainqueur. 

Nous-mêmes, frères et sœurs, nous en sortirons vainqueurs, non pas en raison de nos propres forces, mais grâce à la puissance de Celui qui a versé pour nous son Sang sur la Croix : « Ils l’ont vaincu par le Sang de l’Agneau ».

Péché et grâce ont beau être mêlés en nos cœurs, au jour de la moisson finale, il n’y aura plus que l’Amour victorieux du Christ ! Le temps qui nous est donné de la vie ici-bas nous invite à croire en la miséricordieuse patience de Dieu, comme le dit la première lecture de ce jour : « Tu as donné, Seigneur, à tes enfants, la douce espérance qu’après notre péché tu nous laisses le temps de la conversion » (Sg, 13, 19).

Frères et sœurs, ne dormons pas ! Ne profitons pas de cette patience miséricordieuse de Dieu pour nous assoupir et laisser l’Ennemi venir de nuit semer l’ivraie dans nos cœurs ! Croyons fermement à la grâce divine répandue, telle le bon grain, dans nos cœurs, depuis notre baptême ! Laissons grandir en nous la Semence du Royaume pour que, telle la petite graine de moutarde, elle devienne comme un grand arbre « où les oiseaux peuvent faire leur nid ». Amen.

 

+ Francis Bestion

Evêque de Tulle